Tragédie d'un poilu du Gers | parmi tant d'autres
Lettres du soldat Ostinde Saucède à son épouse Marie, habitante de Solomiac (Gers). Ostinde était métayer à la métairie A Naliotte.
Novembre 1915. Chère Marie, J'ai bien reçu ta photo. Je vais te dire de m'envoyer des sabots car j'ai froid aux pieds. Je lave souvent mes bas, mais mes souliers sont décousus, toujours les pieds dans l'eau. J'ai encore ce tricot qu'on m'a donné quand je suis parti de Mirande, il est encore bon. Je te dirai de m'envoyer l'autre quand je l'aurai besoin. Envoie les sabots et l'imperméable. J'apprends que le cours du blé est bien monté, trente-trois francs l'hectolitre, n'en donne pas trop aux poulets. Nous allons avoir une grande misère car la guerre est obligée de finir mais toujours trop tard. J'ai reçu ton colis hier, il était bon mais un peu abîmé, la poire la plus mûre était écrasée. Nous allons repartir mercredi soir aux tranchées pour huit jours, ils seront longs si le temps persiste à être froid...
Janvier 1917. Ma chère Marie, J'ai bien reçu les deux billets de cinq francs dans ta lettre. Ne te presse pas pour m'en envoyer d'autres encore car pour le moment j'en ai assez. On ne trouve pas grand-chose à acheter, car nous sommes presque tout le temps en première ligne. Tout ce que nous pouvons dépenser c'est pour acheter le journal et rarement du vin. Il faut vivre de ce qu'on nous donne, c'est un peu maigre, mais ça n'y fait rien. Le chocolat, je le mange, mais après les dents je ne sais pas où rester ! Je n'en avais jamais souffert mais je commence à comprendre ce que ça veut dire, quant à ma permission, si je ne suis pas mort j'irai au mois d'avril, j'ai donc le temps de réfléchir. Toujours froid je n'ai pas pu écrire à l'encre qui a gelé.
7 avril 1918. Aujourd'hui dimanche nous sommes encore en alerte. Ne compte pas recevoir des lettres, je ne sais pas pour combien de temps. Ne te fais pas de mauvais sang, mais ça va être terrible pour attaquer. Prends patience, j'ai l'espoir de m'en sortir. Je ne suis pas à la noce, c'est la vie du pays où je suis.
7 août 1918. Deux mots pour te donner de mes nouvelles qui sont toujours les mêmes mais le cafard ne me quitte pas. Je suis équipé, on m'a donné une chemise, un caleçon, une ceinture de flanelle et une paire de chaussures c'est tout, mais ils n'ont pas voulu mon cafard. Reçois mes plus tendres baisers sans oublier mes chères petites qui souvent me réclament
28 août 1918. Voilà la vie, ça recommence, nous partons rejoindre le régiment. Il va falloir aller se faire massacrer. Je t'écris la carte au moment où tu dépiques, ce lundi 26 août à quatre heures du soir, si la machine ne t'a pas fait défaut. Au moment où tu reçois la carte nous sommes dans la grande fournaise, mais je ne puis te dire l'endroit. Voilà je vais rester huit ou dix jours sans lettres et dans les moments comme nous sommes, le temps est long
Ostinde, plusieurs fois blessé, père de trois fillettes de 10 à 2 ans, Amélie, Élise et Odette, sera tué deux mois avant l'armistice.
Son livret militaire mentionne : Soldat d'une intrépidité remarquable faisant partie de la garnison d'un poste avancé brusquement assailli par l'ennemi pendant les nuits du 15 au 16 juin 1917 ; s'est particulièrement distingué par son sang froid et a énergiquement contribué à repousser l'ennemi.
Décoration croix de guerre étoile d'argent.
Brancardier d'un dévouement à toute épreuve n'a pas hésité malgré un feu violent de mitrailleuses à se porter au secours des blessés au cours de l'attaque du 18 septembre 1918 Il y laissera la vie.
La dépouille d'Ostinde n'a jamais été retrouvée. Sa fille Élise, âgée de quatre ans, garde ce souvenir poignant du jour de l'armistice :
Plusieurs jours avant l'armistice mon père était porté disparu et le bruit courait qu'il avait été tué, un voisin l'avait vu tomber. Quand les cloches ont sonné en signe de joie, ma mère est sortie comme une folle de notre métairie en hurlant de douleur. Elle s'est mise à courir autour du pigeonnier en criant tandis que mes sœurs et moi nous nous tenions serrées en sanglotant. J'avais quatre ans et je revois toujours cette scène. J'ai compris que notre père ne reviendrait jamais.
Photos et lettres envoyées du front
CONTRIBUTOR
Claudette Gilard
DATE
1914 - 1918-09-19
LANGUAGE
fra
ITEMS
1
INSTITUTION
Europeana 1914-1918
PROGRESS
METADATA
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