Yvonne Rousseaux raconte la vie de famille pendant la captivité de son père
correspondance envoyée par la femme et les filles du soldat (plusieurs photos, dessins)
correspondance avec la croix-rouge
diplôme illustré en remplacement du livre de prix
un morceau de pain
Le 31 Juillet 1914, c'étaient les vacances. Comme chaque année, nous allions partir à la Ferté-Macé (Orne), mais les événements en décidèrent autrement. Hélas ! les événements en décidèrent autrement : 4 août, l’Allemagne déclarait la guerre à la France. Mon père devait rejoindre son unité : le 26° régiment d'infanterie à Mayenne. Il prit le train à la gare de Vanves Malakoff. Pour le voyage, ma mère lui avait mis de la nourriture et un peu de linge dans une musette.L'image de son départ est restée gravée dans ma mémoire : nous pleurions, ma soeur et moi car jamais papa ne nous avait quittées, et bien que petite, je comprenais que ce moment était très grave.
Quelques jours plus tard, maman reçut une dépêche lui apprenant que le régiment de Papa était à Orly pour quelques jours . Avec ma tante Ernestine, nous avons pris un taxi et nous avons pu revoir mon père : il avait quitté ses vêtements civils et portait un pantalon rouge garance, une veste et un képi. Comme il avait couché dans une grange, il avait pris froid et avait une extinction de voix. Il nous embrassa très fort. C'était le 15 ou 16 août. Sur le chemin du retour nous fûmes surprises par un violent orage accompagné d’une forte pluie.
Les Allemands avaient envahi la Belgique. Les départs des soldats se succédaient ; le régiment de mon père fut envoyé vers la frontière belge. Sans nouvelles de lui, ma mère pleurait souvent car celles venant du front étaient désastreuses : le nord de la France était envahi.
Enfin, le 12 octobre, une lettre de mon père arriva de Hal en Belgique Prisonnier, pas blessé. Quel soulagement ! Bien sûr la guerre n'était pas finie, Papa n'était pas là, mais nous le savions loin du front.
Une longue période de quatre ans commençait.
Après avoir été fait prisonnier le 26 août 1914 à Ramillies près de Cambrai, mon père fut envoyé dans des camps en Allemagne, en Westphalie, dans le Anhalt et en Saxe. Il changea quatre ou cinq fois de camp.
Les prisonniers pouvaient écrire des lettres ou des cartes, mais leur nombre était limité. Elles étaient censurées. Ma sœur et moi écrivions régulièrement en lui parlant de notre travail scolaire.
Les familles pouvaient envoyer des colis de vivres ou de vêtements. Le poids maximum était de 5 Kg. Nous allions les porter à la gare de Ouest-Ceinture ou à la gare de Lyon.
Les colis coûtaient cher. Aussi, au début de la guerre (1915 – 1916), ma mère fit quelques travaux de couture à la maison pour compléter le salaire de mon père travaillant à l’Octroi , qui lui a toujours été payé par la ville de Paris. En 1917, on proposa à ma mère d’entrer comme comptable dans la maison Clacquesin. Elle accepta. Les bureaux de l’usine de Malakoff étaient à cinq minutes à pied de la maison. A cette époque j’avais dix ans et ma sœur 14 ans. Nous pouvions nous débrouiller seules.
Et pendant tous ces mois de guerre, la vie continua malgré tout. Nous avions des cartes d’alimentation, certaines denrées étaient rationnées. Aussi ce n’était pas toujours facile de constituer les colis envoyés à mon père. L’épicière, chez qui nous nous servions avait la gentillesse de nous fournir, en cachette bien sûr, sucre, pâtes, chocolat, etc... et bien souvent, c’était moi qui, en prenant, à midi, le bidon de lait que j’avais laissé le matin, ramenais de quoi faire un colis.
Les hivers, pendant cette période de guerre, ont été extrêmement froids. En 1916, l’année où commence la bataille de Verdun, la Seine charriait des glaçons. Le chauffage était presque inexistant, rationné avec des cartes de charbon. Ma mère nous avait confectionné des sous-vêtements, genre de plastrons en tissu épais qui étaient doublés et à l’intérieur, elle y avait mis des feuilles de papier journal, ça tenait bien chaud. Le midi, pour chauffer un peu la cuisine pendant le déjeuner, ma mère faisait chauffer une brique sur le gaz. Comme la cuisine n’était pas très grande, nous n’avions pas froid. Je me souviens qu’à l’école, l’encre gelait dans les encriers et que j’ai eu des engelures aux mains.
Il devait aussi y avoir des coupures ou des pannes d’électricité, car j'ai le souvenir d’avoir fait mes devoirs, éclairée par une lampe à pétrole.
Au début de la guerre en 1914, les Allemands envoyaient des avions de reconnaissance sur Paris. Le premier qui survola Malakoff fit sortir tout le monde dans la rue. A cette époque, les avions ne volaient pas bien haut, et nous en avions rarement vu avant la guerre. Il avait la forme d’un oiseau. Et puis, des avions de bombardement survolèrent Paris la nuit, les alertes étaient annoncées par une sonnerie de clairon qui nous réveillait. J’avais très peur et devenais très nerveuse. Je ne sais pas quels objectifs étaient visés : usines sans doute, peut-être voies de chemins de fer. Avec de la laine, nous confectionnions deux petits personnages appelés Nénette et Rintintin. C’étaient nos fétiches.
Le bombardement de Paris par la Bertha commença le 23 mars 1918, année de ma communion solennelle. Bertha était le prénom de la fille de l’industriel allemand Krupp qui fabriquait du matériel lourd pour la guerre. Le surnom de Bertha passa, par la faute des journalistes mal informés, au canon géant qui tirait sur Paris et qui, lui, s’appelait en réalité Lange Max . La Bertha tirait aveuglément, sans objectif. C’est ainsi que le vendredi saint après-midi, un obus tomba sur l’église St Gervais, qui, à cette heure était pleine de fidèles ; il y eut 91 tués et de nombreux blessés.
Lors du premier tir, nous étions en classe. On fit évacuer l’école et nous nous réfugiâmes dans une cave d’un immeuble voisin. Nous étions éclairées par une bougie. Inutile de dire que nous étions pratiquement dans le noir complet. C’était lugubre ! Et nous avions peur. Des mamans vinrent chercher leurs fillettes. Ma mère m’emmena à la maison avant d’aller chercher ma soeur qui était à l’école à Paris (dans le 14°, rue Durouchoux). Je suis allée à l’usine Clacquesin où le directeur, M. Hantz, m’accueillit. Ayant perdu une main à la guerre, il était démobilisé. Ma mère et ma soeur revinrent me chercher. Sur le moment, personne ne savait que c’était un canon qui tirait sur Paris. C’était beaucoup plus pénible qu’une alerte pour laquelle on était prévenu du début et de la fin du bombardement, tandis que la Bertha tirait à n’importe quel moment et sans prévenir.
A Malakoff, un obus tomba sur le jeu de boules d’un café qui se trouvait à l’angle de la rue Gambetta et Victor Hugo. Il y eut 17 morts.
Et la guerre continuait, mais à cette date, fin mai 1918, on reprenait espoir d’une fin prochaine. C’est à ce moment qu’une affreuse épidémie, appelée Grippe Espagnole, fit son apparition. On rencontrait des gens le matin et à midi on apprenait qu’ils étaient morts ! C’était foudroyant. Dans le monde, il y eut un million de morts. Alors ma mère décida de nous faire partir, ma soeur et moi, avec notre grand-mère à la Ferté-Macé. Nous arrivâmes début juin. Là, nous mangions mieux et il n’y avait plus de Bertha ni de bombardements. Je dormais tranquille. Ma mère nous inscrivit à l’école primaire rue du 14 juillet pour moi et au cours complémentaire pour ma soeur.
Je n’avais que 11 ans et l’âge pour passer le certificat d’études était 12 ans. Or je travaillais très bien et étais capable de le passer. L’institutrice voulait que j’aie une dispense, mais je refusais : comme preuve une carte écrite à ma mère où je demandais de le passer à Malakoff avec Mlle Flusin! Dieu que j’étais sotte, car je n’aurai pas eu à me présenter l’année d’après !
Nous sommes revenues de la Ferté-Macé pour la rentrée d’octobre. La guerre allait se terminer. Quand l’Armistice fut signé le 11 novembre, nous étions en classe. Ce fut une joie indescriptible pour celles qui, comme moi, eurent le bonheur de voir, plus tard, revenir leur père. Mais hélas, il y avait aussi le chagrin de celles qui ne les reverraient plus !
A 11 heures, l’institutrice, Mlle Flusin, nous fit mettre debout dans l’allée et nous observâmes une ou plusieurs minutes de silence.
Mais si l’Armistice était signé, nos soldats mirent du temps pour réintégrer leur foyer.
Mon père ne revint qu’en janvier 1919, mais il faut comprendre que le rapatriement de tant de gens dispersés à travers l’Europe posait d’énormes problèmes d’autant que les routes avaient été saccagées, ainsi que le réseau ferroviaire. Et puis les courriers n’arrivaient plus, si bien que ce fut pour nous une longue attente de deux mois ! Et puis un soir, nous étions revenues de l’école ma soeur et moi et maman n’était pas encore rentrée de son travail, quand notre boulangère, Mme Zravouillon vint nous prévenir que mon père allait arriver. Aussitôt ma soeur courut à la maison Clacquesin prévenir maman. J’étais donc seule à la maison, quand on sonna. J’allais ouvrir : c’était mon père ! Je ne le reconnus pas car il était habillé en bleu horizon alors qu’il était habillé en rouge garance lorsque nous l’avions vu le 15 août 1914 à Orly. Il avait une barbe et... je ne l’avais pas vu depuis plus de 4 ans et demi. Je n’avais que 7 ans à son départ. Je lui dis que ma soeur était partie chercher maman, et puis il me demanda des nouvelles de sa mère et de sa belle-mère. En pleurant, je lui dis que sa mère allait bien, mais que ma grand-mère était morte le mois dernier. Il eut de la peine, car il s’entendait bien avec sa belle-mère. Maman et ma soeur arrivèrent : alors ce fut la joie ! Nous étions enfin réunis, nous ne serions plus séparés, la guerre était finie !
Quand mon père revint, j’allais avoir 12 ans et ma soeur bientôt 16 ans. Mon enfance était finie, mon adolescence commençait. Ma soeur était déjà une jeune fille, et mon père ne nous avait pas vues grandir ! Il fut long à se réhabituer à la vie civile, car sa captivité s’était toujours passée dans des camps, c’est à dire privé de liberté. Et puis la vie reprit ses droits. Mon père retrouva son travail à l’octroi et il eut un emploi près du parc Montsouris à la gare de Limours (ligne devenue par la suite le R.E.R. jusqu’à St Rémy les Chevreuse). Le jeudi, nous allions le chercher à son travail et revenions tous quatre ensemble. Comme cette réunion nous semblait agréable après l’horrible séparation.
Ma mère quitta son travail à la maison Clacquesin peu de temps après le retour de mon père. Elle eut un problème d’estomac, probablement dû aux soucis occasionnés par la guerre, au manque de nouvelles de mon père, ce qui arrivait bien souvent lorsqu’il était prisonnier, les lettres parvenant avec beaucoup de retard, au souci qu’elle se faisait pour nous lors des alertes aériennes ou des bombardements par la Bertha, à la maladie et au décès de sa mère. Elle avait été seule pour assumer tout cela. Bref, elle dut se soigner et se reposer.
C’est au retour de mon père que mes parents firent installer le chauffage central.
Et peu à peu, la fée Electricité apporta avec elle un plus grand confort ménager.
Yvonne Rousseaux (1907-1998)
Paris
Photograph
Remembrance
Une fois par an, pendant la guerre, ma grand-mère emmenait ses deux filles chez le photographe puis cette photo était envoyée à son mari dans le camp de prisonniers où il se trouvait. C'était la vie de famille qui se poursuivait malgré l'absence physique.
La femme d'Adolphe Rousseaux et ses deux filles Yvonne et Marguerite
Women
Yvonne, le jour de sa communion en 1918
Yvonne Rousseaux
71 av d'Orléans Paris XIV
Distribution des prix
les deux filles du prisonnier
Book
En cette fin d'année scolaire 1917, Yvonne et Marguerite vont chez le photographe. Le conseil municipal de Malakoff (où Yvonne allait à l'école primaire)a remplacé les livres de prix par un souvenir-diplôme illustré alors que la ville de Paris (Marguerite allait dans un cours complémentaire pour préparer le brevet supérieur)a maintenu les livres comme récompense. Je trouve ce témoignage intéressant
Ce diplôme remplaçait le traditionnel livre de prix. La municipalité de Malakoff souhaitait faire des économies pour aider ses soldats (colis) et/ou les familles
Diplôme souvenir remis à Yvonne et remplaçant le livre de prix
Allemagne
Adolphe Rousseaux
Adolphe Rousseaux prisonnier en Allemagne
On aperçoit, juste devant les arbres, les fils de fer barbelés.
Autre détail, le prisonnier tient une cigarette (c'est la période de sa vie pendant laquelle il a le plus fumé)
CONTRIBUTOR
Laigle
DATE
1914-08 - 1919
LANGUAGE
fra
ITEMS
5
INSTITUTION
Europeana 1914-1918
PROGRESS
METADATA
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La vie de la famille Derelle lorsque le père est soldat
1 Item
Le 3 août 1914, à la fin d'une belle journée ensoleillée, tombe la nouvelle que tout le monde redoutait : l'Allemagne déclare la guerre à la France. Dans l'église, le tocsin retentit pour annoncer la terrible nouvelle. Dans les rues de nos cités, les groupes se forment, les discussions s'animent. Ce même jour, ordre est donné aux étrangers de quitter le territoire français. De nombreuses familles, essentiellement italiennes vont quitter la région en direction de Verdun, d'où elles pourront rejoindre leur pays d'origine. Piennes, à moins de vingt kilomètres de la frontière issue du Traité de Francfort du 10 mai 1871 et à une quarantaine de kilomètres du futur front de Verdun en 1916, ne sera pas épargnée une seule journée pendant les quatre années que durera le conflit. L'invasion Dès le mercredi 5 août, les chasseurs à cheval du 10e régiment se heurtent aux Uhlans de l'armée du Kronprinz, sur la route de Piennes à Norroy-le-Sec. Un chasseur est tué, un autre est blessé. Le dimanche 9 août, le commandement de la 3e armée rapporte au Grand Quartier Général des faits alarmants : les mines de Piennes auraient été détruites par les Allemands qui se livrent à toutes sortes d'excès dans la région. Déjà de nombreux piennois fuient devant l'envahisseur. Un arrêté daté du 9 août fixe des lignes de conduite aux habitants qui sont restés : out habitant possesseur d'armes est invité à les détruire immédiatement. Tout individu rencontré dans les rues par la police municipale sera visité : s'il est porteur d'une arme, il sera immédiatement arrêté et remis aux autorités militaires. La population est invitée au plus grand calme ; tout attroupement dans la rue est interdit ; la circulation des enfants est également interdite, sauf pour les provisions. Toute personne trouvée pillant les habitations ou les jardins ne lui appartenant pas sera immédiatement arrêtée. Le 16 août les Allemands prétendent que les cheminées de la mine du Nord-est servent à faire des signaux pour alerter nos troupes. Ils ordonnent l'arrêt de la chaufferie, les pompes destinées à l'exhaure ne fonctionnant plus, la mine est entièrement noyée. Piennes fut l'une des trois exploitations du bassin à rester noyée pendant toute la guerre. La mine est de toute façon abandonnée par la plus grande partie du personnel mobilisé. Installée d'emblée dans la guerre, la population de Piennes attend avec anxiété la suite des événements. Le 21 août, les Allemands ont poussé une pointe jusqu'à Landres et ont saccagé la gare. Dès l'aube, le 94e régiment d'Infanterie se porte vers Joudreville, Piennes et Domprix ; il reçoit le baptême du feu en abordant la voie ferrée qui va de Piennes à Bouligny : des chasseurs cyclistes allemands, cachés dans une rame de wagons, lui font subir quelques pertes. Le massacre des civils Ce même 21 août, Audun le Roman est incendié après 17 jours d'occupation, de réquisitions et de vexations. Les troupes stationnées à Audun étaient parties la nuit du 20 en direction de Piennes et elles refluaient en pleine débandade. Vers 18 heures elles simulent des attaques dans le haut du village et dépose des morts pour faire croire à une attaque de partisans. C'est le signal du carnage, une partie du village est incendiée et une dizaine de civils fusillés. Le matin du 22 beaucoup d'habitants s'échappent en direction de Malavillers et Murville. Vers 8 heures, les Français arrivent, la bataille fait rage et finalement les Français reculent sur Murville. Audun est à nouveau livré à la fureur des allemands, une dizaine de civils sont encore tués. Le 22 août, le village de Landres est presque totalement détruit et cinq hommes étrangers à la commune sont fusillés dont un cultivateur de Piennes. Ce même jour, Murville est incendié, une bonne partie de la population s'enfuit. François Joseph Boursier envoie sa femme Marie Félicie Derelle et ses enfants, dont Félicien âgé de 17 ans, chez sa belle-sœur Glossinde Derelle à Joudreville. Il restera sur place pour veiller sur ce qui reste de la maison. Narcysse Chary, cantonnier de 40 ans, autre beau-frère de Glossinde, part également vers Joudreville avec sa femme Irma Marguerite Derelle et les enfants. Ce même jour, à l'endroit où la route de Landres à Piennes franchit la voie ferrée Audun-Baroncourt, le 2e escadron du 12e régiment de chasseur à cheval accroche une colonne de cavalerie allemande. L'abordage se produit, forcené et brutal, dans des champs d'avoine à côté du pont. La mêlée est sanglante et cause de lourdes pertes de part et d'autre, mais la supériorité numérique de l'ennemi est écrasante. Le capitaine de la Taille tente de rallier son escadron dans le bois de la Mourière. L'ennemi ne poursuit pas son avantage et les chasseurs valides peuvent se replier, mais les absents sont nombreux : on compte 12 tués et 32 blessés sur les 80 qui ont participé au combat. Toutes ces nouvelles se propagent comme une traînée de poudre à travers Piennes, Joudreville et les environs. La rue des Ecoles est à 800 m du lieu des combats, prises de panique, les deux sœurs et Glossinde leur belle-sœur, décident de partir chercher refuge à Verdun, place forte distante de 40 km. Elles, avec Narcysse Chary et Félicien Boursier, pensent y être en sécurité. Glossinde emmène ses quatre enfants : Maurice 7 ans, Fernand 5 ans, René 3 ans et porte Paulette 5 mois dans son tablier. Elle est accompagnée de ses belles-sœurs, Irma, Marie Félicie, de Narcisse Chary et de leurs enfants. Dans chaque village la cohorte s'allonge de nouvelles familles. A Affléville, les habitants qui n'ont pas fui lors de l'incendie du village le 9 août, s'en vont cette fois. Madame Hillard se joint à la colonne avec ses sept enfants, les plus petits dans une poussette d'enfant. A pied en passant par Affléville, Aix, ils feront halte dimanche 23 août chez leur oncle Emile François Derelle, boulanger à Rouvres. Rouvres est un joli village de la Meuse, comptant 493 habitants répartis en 141 ménages, situé au nord d'Etain sur la route de Verdun à Briey, à 25 kilomètres de la frontière et à 45 kilomètres de Metz. Les maisons rurales, solides et élégantes sont rangées le long de deux larges rues. Une belle et grande église achevée en 1866 occupe le centre : le clocher, haut de 52 mètres, domine encore toute la plaine. Gracieusement situé au milieu d'un pays riche en céréales et en pâturages, le village est entouré à quelques distances d'une couronne de forêts de chênes de cinq à six kilomètres d'étendue. L'élevage du bétail, des porcs et de la volaille enrichit les paysans. Cinquante hectares de terre cultivée donnaient aisément en fin d'année à leur propriétaire un revenu net de près de 4 000 francs. Au début de la deuxième quinzaine d'août 1914, le village a été traversé par des troupes françaises qui se repliaient. Ensuite le calme était revenu. Le calvaire de Rouvres Le 24 août, à 7 heures du matin, deux chasseurs à pied français sont en faction au clocher ; quatre dragons voyagent autour du village. Vers 10 heures, les chasseurs descendent du clocher. A 11 heures, M. Teurquetil montant au clocher, aperçoit une masse noire qui s'avance en masse compacte du côté de la ferme de Halloye. En descendant il dit à l'instituteur (Emile Julien) en lui rendant les clefs du clocher Les Prussiens ne sont pas près d'entrer en France ; voici les Français ! Hélas, il se trompe, car il s'agit d'allemands. Il doit y avoir au moins un millier d'hommes appartenant à la cavalerie, à l'artillerie et à l'infanterie. Heureusement nos soldats sont plus attentifs. En dehors du village les dragons en embuscade commencent le tir, abattent quelques Uhlans et filent au galop de leurs chevaux, à 10 kilomètres de là dans la direction d'Etain, vers le sud-ouest, annoncer à nos troupes l'approche de l'ennemi. Les Allemands ramassent à la hâte leurs morts et se croyant attaqués par des forces supérieures, rebroussent chemin et abandonnent dans l'abreuvoir communal deux pièces d'artillerie et leur attelage de 12 chevaux. Ils reviennent de Nomeny au nombre de 3 000. Ils entourent le village. A leur entrée, ils affirment aux habitants qu'ils ne leur veulent aucun mal. A 11 h 45 au début du repas, l'instituteur entend du bruit dans la rue : les Allemands qui fouillent le village entrent chez lui, demandant du pain et du vin ; ils boivent deux litres de vin, mangent du pain, de la saucisse, de la tarte et sortent en le remerciant. A une heure et demie, une grêle de grenades et d'obus tombent sur le village, incendiant les maisons ; à 2 heures le feu cesse. Les Uhlans, postés à quelques mètres du village, empêchent les habitants de s'enfuir tandis que d'autres, postés à l'intérieur des rues, tirent à bout portant sur les malheureux qui, affolés, prennent toutes les directions. C'est alors que commence une véritable boucherie, l'ennemi a pénétré dans le village et, maison après maison, fait sortir tous les habitants. Les hommes valides sont ramassés et forment deux groupes d'environ dix hommes chacun, qui sont emmenés à l'extrémité du village, où ils sont fusillés séance tenante de chaque côté de la route. Parmi eux se trouvent notamment MM. Périn, adjoint, vieillard de 72 ans et Bouché, tailleur, infirme et impropre au service, ayant dépassé la quarantaine. Témoignage de l'instituteur, rescapé du carnage : «Je sortais du village tenant ma fille par le bras ; ma femme donnait la main à une pauvre infirme. Nous n'avions pas fait cent mètres que deux Uhlans du 137e piquèrent de mon côté faisant feu. C'était à moi qu'ils en voulaient. Je dis à ma fille : Ma chère enfant, ma pauvre femme, je suis perdu, adieu pour toujours. Arrivés à dix mètres de moi, ils me visèrent et tirèrent cinq coups sans m'atteindre ; ils se retournèrent à nouveau et tirèrent encore cinq coups. J'étais manqué. Fiévreux, ils tirèrent leurs sabres avec furie et s'élancèrent. J'attendis, comme ils abaissaient leurs armes, je me baissai et m'élançai sous l'entrée d'un parc fermé de fils de fer barbelés. A nouveau comme des bêtes fauves, ils revinrent à la charge, mais arrêtés par les fils, leurs chevaux se cabrèrent et j'en profitai pour franchir un mur et de jardin en jardin, je rentrai dans le village en feu. Des soldats, sortant de chez moi, chargeaient mes pendules, mes couverts, mon linge, dans une automobile où se trouvait un lieutenant-colonel. Ces soldats m'arrêtèrent, me saisirent et m'accusèrent d'avoir tiré sur eux : C'est vous, nous vous reconnaissons. Je fus mené sur la route de Lanhères près d'un capitaine qui me dit : Vous serez fusillé ; mettez vous là.... Et les soldats, baïonnette au canon, hurlant de joie, attendirent l'ordre de faire feu. Tout à coup un des Uhlans qui étaient venus chez moi me reconnut et intervint pour moi auprès du capitaine qui dit : Gut Venez : où est le bourgmestre ? On va le fusiller à votre place. Je dus revenir au village entre deux colonnes de fantassins qui ne me ménagèrent pas les coups de poings et de pieds, ni les insultes les plus grossières. Je fus obligé de marcher le premier de la colonne, d'ouvrir les portes des placards et des armoires de M. Wuillaume, maire, qui resta introuvable». Témoignage du maire, également rescapé : «Un officier supérieur allemand, s'était emparé, en traversant ma salle à manger, d'une douzaine de couverts en vermeil, vint frapper à la porte du réduit dans lequel nous étions réfugiés. Il me déclara que j'allais être fusillé et fit ranger tous les hommes d'un côté et toutes les femmes de l'autre. Comme ces dernières l'imploraient en pleurant : Taisez vous, cria il, ou je vous fais fusiller tous. A ce moment, un jeune officier, qui avait mangé chez moi dans la matinée, intervint et nous sauva la vie. Les Allemands exigèrent ensuite que ma femme ouvrît notre coffre-fort. Ils n'y trouvèrent que trois montres sans valeur ; le chef en prit une entre ses mains, puis la rejeta avec dédain. Etant resté dehors, j'ai demandé alors à rentrer chez moi pour prendre une casquette, car la grande chaleur m'incommodait. L'officier supérieur me répondit que je n'avais pas besoin de casquette pour ce qu'on allait faire de moi. Il ordonna ensuite à ma femme de partir pour Lanhères. Je m'attendais à être fusillé ; de nouveau, l'intervention du lieutenant me sauva. On me déclara que j'étais prisonnier et on me fit conduire à Lanhères, où je retrouvai plusieurs de mes concitoyens, ainsi que ma femme. Je dois dire que l'officier supérieur qui voulait me faire massacrer a tout fait pour me pousser à quelque parole de protestation, afin de pouvoir me tuer avec son revolver, qu'il ne cessait de me placer devant le visage, en me traitant de sale Français, de cochon de Français et de chien de Français Il m'a porté un violent coup de pied à la cuisse et, quand il a déclaré consentir à me faire grâce de la vie, il m'a dit : Vous aurez toujours devant les yeux l'incendie de votre village ; il aura été détruit par votre faute et vous en aurez la honte. Il prétendait en effet que j'avais fait tirer ou laissé tirer sur ses hommes, bien que, quinze jours avant l'arrivée des allemands, j'eusse fait annoncer à son de caisse que je recommandais de ne se livrer sur eux à aucun acte d'agression. Ce n'est pas fini, nous dûmes passer au milieu des soldats qui ne nous ménagèrent pas les coups et faire trois kilomètres à pied pour gagner l'ambulance allemande où il nous fallut soigner leurs blessés. En nous quittant, l'officier me dit : je vous donne la vie pour que vous puissiez avoir toujours l'horreur du crime qu'on vient de commettre. Vous êtes seul responsable. Après quoi il me donne un coup de pied dans le dos et un coup de cravache sur la tête». La tragédie chez le boulanger Chez Emile Derelle, toute la maisonnée s'est réfugiée à la cave dès l'arrivée des allemands et pendant le bombardement. Lorsque la maison a commencé à brûler, tout le monde se précipite dehors et s'enfuit dans la rue en direction d'Etain. A la sortie du village, les Uhlans les arrêtent et séparent les hommes des femmes. Glossinde arrache son fils Fernand des bras de Narcysse Chary et avec Paulette dans son tablier, s'éloigne en pleurant, poussant devant elle les deux plus grands, Fernand et Maurice. Emile Derelle, Narcysse Chary et Félicien Bourcier sont emmenés vers Rouvres. Ils seront tués à coups de sabre dans un champ d'avoine à 300 m du village. Les corps méconnaissables seront identifiés plus tard grâce à des détails vestimentaires : Narcysse grâce à sa montre et Félicien par les fermoirs de ses bretelles. La description (italique) ci dessous doit les concerner. DEPOSITION reçue, le 16 septembre 1914, à TROUVILLE (Calvados). HOUDE (Florent), soldat réserviste au 64e bataillon de chasseurs à pied, N° matricule 1948, actuellement en traitement à l'hôpital militaire de Trouville. Le 24 août dernier, vers 18 heures, en pénétrant dans le village de Rouvres (Meuse), qui venait d'être évacué par les Allemands, tout de suite à gauche, au coin d'une rue, devant une maison, nous aperçûmes onze personnes mortes, qui étaient en tas les unes sur les autres ; les personnes qui se trouvaient là, nous ont dit que les Allemands les avaient massacrées vers 15 heures, alors que ces personnes cherchaient à sortir de chez elles. J'ai vu ces victimes et j'ai remarqué que, parmi elles, il y avait une jeune fille de 15 à 16 ans, des jeunes gens d'environ 18 ans et des hommes de 50 ans environ ; il n'y avait pas d'autre corps de femme que celui de cette jeune fille. En quittant le village, toujours à la poursuite des allemands, nous aperçûmes dans un champ d'avoine, à trois cents mètres du village, trois corps en cercle ; il y avait, parmi ces trois nouvelles victimes, un jeune homme de 15 à 16 ans, qui avait la bouche fendue, d'où le sang s'échappait ; les deux autres étaient des hommes d'un certain âge, l'un avait un côté de la tête écrasé et le dernier avait le cou sectionné. Lecture faite, persiste et signe. Femmes et enfants ont trouvé refuge au fond d'une carrière sur la route d'Etain. Pris d'une envie soudaine, Maurice est prié d'aller faire ses besoins plus loin afin de ne pas importuner les autres. En montant en haut de la carrière, il voit Rouvres qui brûle dans la nuit. C'est ainsi qu'ils sont découverts par deux allemands qui posaient une ligne de téléphone de campagne, ils sont conduits sur la route de Lanhères, où se forme un convoi de prisonniers civils d'environ 35 personnes de tout âge dont Madame Hillard d'Affléville avec ses enfants. Le village de Lanhères est occupé par l'ambulance allemande, la colonne y arrive le 24 au soir. Maurice Derelle se souvient d'un soldat allemand coupant avec son sabre une tranche de pain dans une grosse miche. Le lendemain matin, personne ne s'intéressant à leur sort, certains décident de rentrer chez eux, à Rouvres, à Joudreville et Murville pour les familles Derelle, Bourcier, Chary et à Affléville pour Madame Hillard. A Joudreville, au 10 rue des Ecoles, la famille Derelle est accueillie par le chien, toujours vivant et attaché à sa chaîne. Il avait été oublié dans la panique de départ. A Rouvres, après avoir assouvi leur fureur sur d'innocentes victimes, les Allemands, à la tombée de la nuit, ne songèrent plus qu'à éteindre leurs remords dans de copieuses libations et à satisfaire leur gloutonnerie dans une orgie qui se prolongea jusqu'au matin. Deux des principales maisons, celle de Léonard Eugène et celle de Robinet Constant avaient été à dessein préservées du feu. Ce fut là qu'ils transportèrent des tonneaux de vin, plusieurs centaines de bouteilles d'eau-de-vie, tout le butin qui ne put être envoyé à Metz en automobile. Le bétail lâché dans les camps lors de l'incendie, les porcs enfermés dans les clos, les moutons et les volailles devaient fournir la matière d'un plantureux festin. A la disette des jours précédents survenait une abondance de vivres permettant à chaque soldat de manger et boire à plaisir. A la lueur de l'incendie et au bruit du canon, les soldats français arrivent de Verdun. Malgré leur infériorité numérique, les Français n'hésitent pas à attaquer l'ennemi. Toute la nuit nos adversaires tirent au canon pour tenir les Français à distance. Dès l'aube du 25 août, le 85ième de ligne ayant avec lui de l'infanterie de marine reprend l'offensive. Le combat est indécis jusqu'à quatre heures de l'après-midi ; nos troupes reculent pied à pied en s'abritant dans les bois et en infligeant de fortes pertes à l'ennemi. Vers 4 heures un renfort permet aux nôtres de reprendre l'offensive. Ils refoulent l'ennemi qui s'enfuit en désordre s'abriter derrière le village de Lanhères à 2 kilomètres au sud-est de Rouvres. Les Allemands avaient établi leur ambulance dans l'église et l'école de Lanhères ; c'est à l'abri de la Croix-Rouge qu'ils installent leur batterie. Les Français, pour éviter d'atteindre les blessés, font un détour vers Etain et y placent leur pièce. Le premier obus sert de point de repère ; au second coup, la batterie ennemie vole en éclats. Pendant que les Allemands choisissent d'autres positions, nos soldats profitant d'un accident de terrain disposent habilement leurs mitrailleuses au haut d'une colline, sur les deux flancs des allemands, à droite et à gauche de l'unique issue qui leur permettrait de regagner leurs retranchements. C'est la fuite éperdue sous le feu des mitrailleuses et d'autre part, le tir de nos artilleurs restés en arrière. A la même heure, les troupes françaises arrivées à Lanhères délivrent le maire, l'instituteur et une trentaine des survivants de Rouvres emmenés prisonniers, qui ont dû passer la nuit à soigner les blessés allemands. La famille Derelle est déjà partie et arrivée à Joudreville, du côté allemand du front ! D'autres ont trouvé refuge en Haute-Savoie du côté français et malheureusement certains ont été emmenés en Allemagne au camp de Switkau pour quatre années de détention. Plus tard à Buzy, l'instituteur reconnaîtra facilement, au milieu des prisonniers dont le convoi venant d'arriver, le colonel allemand qui avait ordonné le massacre des habitants de Rouvres. C'est un homme de haute stature, aux traits caractéristiques bien marqués, à l'air féroce et au regard méchant. Il le signalera au colonel français qui lui promettra de le faire traduire en conseil de guerre. Joudreville est occupée, comme les communes voisines. Les maisons désertées sont systématiquement pillées. La population qui est restée est soumise à la volonté de l'occupant : réquisitions de toutes natures, travail dans les champs à raison de quatre à cinq sous de l'heure pour les femmes et les jeunes filles. Un appel nominal est fait chaque samedi pour s'assurer de la présence de tous les habitants. Ville de l'arrière immédiat du front, Piennes voit ses bâtiments publics transformés en hôpitaux. Chaque jour, des centaines de blessés y sont acheminés. Des colonnes de prisonniers, poilus hirsutes et affamés, harassés et hagards, traversent notre localité. Un camp de prisonniers russes est établi dans les corons de la Mourière : ils sont occupés aux travaux du fond affamés, maltraités, ils meurent en grand nombre. Leurs sépultures, sont au cimetière militaire de la Mourière. Le ravitaillement manque ; le rationnement établi prévoit 125 g de lard, de graisse, de riz par mois, 300 g de haricots, 50 g d’Erstz Kaffée, 150 g de pain... Les enfants vont faire la queue auprès des cuisines ambulantes, la casserole à la main. L'exil En mars 1915 les Allemands décident de se séparer des bouches inutiles. Les grandes familles sont envoyées en zone française. Glossinde avec ses enfants : Maurice 7 ans, Fernand 5 ans, René 4 ans et Paulette encore nourrie au sein est conduite à la gare de Baroncourt sur un char à banc. Elle y retrouve sa sœur Marie (mariée à Jules Morin) et ses deux enfants : Julie et Gabriel. Elle y retrouve également sa belle-sœur Anasthasie Derelle et ses deux enfants : Marcel et Auguste. Tous les petits portent une grosse étiquette autour du cou avec leur identité. Le train les emmène en Allemagne à Darmstadt où la population leur montre le poing et hurle des insultes sur leur passage. C'est ensuite la Suisse où Maurice goûte la première orange de sa vie offerte par la population. Maurice, parti se promener avec son copain Raiser, faillit rater le départ. Réprimandé par sa mère, il se tient coi pendant le reste du voyage. Ils sont inscrits le 28 mars 1915 dans les registres à Genève avec la destination de Beaumont Sardolles. Au passage de la frontière française, la tante Tasie (Anasthasie) entonne la Marseillaise. A Nevers, la municipalité leur trouve une pièce pour dormir. Anasthasie râle à propos de la paille qui sert de matelas à même le sol et sur l'accueil des Français de l'arrière pour qui, ils seront toujours les oches de l'Est. Le point de chute est trouvé vers St Benin d'Azy dans la maison du piqueux (responsable des chiens) du château de la Cave. C'est là que vivront les deux familles pendant environ dix huit mois. (Je n’ai pas d’information sur la famille de Marie, sœur de Glossinde). Anatole Paulin, le mari de Glossinde avait été mobilisé en août 1914 et envoyé en Belgique où il est encore en juin 1915. Il a failli partir à Salonique en Grèce suite à la malheureuse expédition des Dardanelles. Un de ses copains périra lors du naufrage du bateau qui l'y emmenait. Il vient en permission à St Benin d’Azy. Anastasie, Emile et Anatole Paulin les frères et sœurs Derelle avec Glossinde. Elles échappent à une épidémie de croup, elles attribuent ce salut aux sachets de camphre portés autour du cou ! Les familles touchent les allocations des réfugiés tous les mois à la sous-préfecture, les enfants ramassent les œufs dans les haies pour améliorer l'ordinaire. Un néflier, à coté de la maison, est apprécié pour ses fruits. Elles vont à la messe et à la sortie, lorsque c’est la saison, la Châtelaine, Stéphanie Dumont qui a épousé Jean Charles de St Vallier de la Croix de Chevrière, leur offre un plein panier de fruits. Elles s’en souviendront toute leur vie. Anatole Paulin est démobilisé en 1916 comme chef de famille et surtout pour travailler dans les mines. La politique d'armement à outrance nécessaire pour reprendre l'offensive sur le front nécessite le retour au travail des spécialistes de la métallurgie, des mineurs aux mécaniciens. La famille est donc transplantée en décembre 1916 à Sexey aux Forges au sud-ouest de Nancy. Ici comme ailleurs les difficultés sont grandes pour trouver un logement. Finalement Monsieur Davon leur cède une chambre de 4 m sur 4. Il exploite une scierie mue par une roue à aubes sur la rivière Ste Anne avec un seul bras et deux doigts à son unique main droite. Anatole travaille au chargement du stock de minerai de la mine St Anne et à l'exploitation du Val de Fer à Marron pour les aciéries de Neuves-Maisons. Un bassin sur le canal tout proche est occupé par des péniches allemandes, bloquées à cet endroit depuis l'ouverture des hostilités. Maurice va y jouer en portant sa sœur Paulette sur ses épaules. Maurice achète le tabac de son père chez un émigré Belge, M. Adam. Celui-ci touche une pension en dollars à la suite de services rendus aux troupes américaines. Maurice découvre le cinéma muet installé par les Américains, la manivelle que l'on tourne plus ou moins vite, le drap de lit qui sert d'écran et le piano pour l'ambiance. Maurice et ses copains ont percé la palissade en bois derrière l'écran et regardent le film muet à l'envers. Glossinde est enceinte de Georges, elle accouche à l’arrivée à Sexey aux Forges, dans cette pièce sans chauffage sérieux, son berceau sera une vielle auge de pierre. Tous les enfants, sauf Paulette, auront des engelures aux pieds qui seront soignées par des compresses de lard frais. Maurice restera quelques temps sans pouvoir marcher. Les aciéries de Neuves-Maisons finissent par attirer les avions allemands en 1917. Des bombes tombent dans les bassins et Maurice y remplit des seaux de poissons morts qu'il apporte à sa mère pour les manger en friture. Glossinde les jettera sur le tas de fumier. Il est vrai que d'habitude il en rapportait moins à la fois car le matériel : baguette, crin de cheval et épingle de nourrice, n'était pas très performant. De plus il était obligé de chasser les mouches pendant la classe. La destruction des aciéries de Neuves-Maisons entraîne un nouvel exil de la famille vers le sud, dans un secteur inaccessible à l'aviation ennemie. Le mineur reprend le chemin de la mine, de charbon cette fois, dans la région de Bézier dans l'Hérault à Graissessac. Ils prennent le train et se trompant d'itinéraire ils doivent payer un supplément malgré leurs protestations. Ils arrivent donc à Gressessac avec seulement 5 F en poche. Le salaire est perçu en billets de carton émis par la chambre de commerce du département. Les quatre plus grands enfants couchent dans le même lit, deux à la tête et deux au pied. Georges, le plus petit, est il avec les parents ? Ils apprennent à faire des castagnioux dans le bâtiment communal réservé à cet effet. Le feu est au rez-de-chaussée et les châtaignes sont séchées à l'étage puis décortiquées. Il est vrai qu'il n'y a pas de pommes de terre à manger, les castagnioux sont le menu obligatoire. Il n'y a pas d'eau non plus ; Glossinde s'est fait rappeler à l'ordre par les villageois car elle en prend trop. Elle est obligée de se lever la nuit pour en chercher discrètement, afin de laver le logement. Ici également ils échappent à une épidémie. Il s'agit cette fois de la grippe espagnole d'avril à novembre 1918. Il y avait tellement de décès que l'on ne prenait plus la peine de faire sonner les cloches. Les rues étaient blanches d'une poudre désinfectante (cette épidémie a fait quinze millions de morts dans le monde à cette date). L'Armistice Après l'Armistice la famille Derelle retourne en Lorraine. Glossinde est enceinte de son dernier fils. A Joudreville les cités ont été utilisées par les Allemands. Vingt trois logements ont été habités normalement pendant toute la guerre. A partir de janvier 1916, les 307 vacants furent occupés en permanence par les troupes allemandes. La rue du Pâquis qui avait grandement souffert d'un bombardement en août 1914 vit un groupe de maisons rasé jusqu'au premier étage, couvert de tôles et transformé en cantine. Certains logements endommagés restèrent sans réparations, alors que la partie droite de la rue servit d'écuries, les planchers ont été défoncés ou même brûlés. La plupart des rues servaient de cantonnements ; la rue de Norroy avait pour vocation d'infirmerie des chevaux... Portes et fenêtres étaient utilisées comme bois de chauffage. Des logements en bois furent démontés en 1915, pour être transportés plus près du front. Enfin l'explosion en 1917 d'un dépôt de munitions qui se trouvait sur le plateau, près de la gare de Joudreville, acheva d'ébranler fortement les habitations. || Photo des massacres des civils à Rouvres (55) Photo de la grand-mère et de ses enfants (dont mon père) en 1915 à St Benin d'Azy (58)
FRAD004-025. La vie en captivité de Gaston Faure
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Le grand-père de Bernard Faure, Gaston Faure après avoir été mobilisé à la gare de Miramas, passe à Beuil dans les Alpes maritimes avant de rejoindre la Belgique en janvier 1915 où il combat sur le front jusqu'au 3 mars 1915, date à laquelle il est fait prisonnier. Il revient chez lui en Provence en 1919. Les documents apportés évoquent la vie en captivité, Gaston Faure reçoit régulièrement des colis envoyés par sa famille mais il souffre de la faim et du froid. La vie des prisonniers s'organisent, ils font du théâtre La presse à bourdes, participe au théâtre du camp de Celle près de Hanovre (Allemagne), du chant aussi. Il parcourt la Pologne à pied, raconte qu'il travaille en forêt puis il est dirigé sur Brémen... 3 ans et 10 mois de captivité. || Correspondance, cartes postales, photographies, morceau de pain noir conservé dans une enveloppe. || || Le théâtre en captivité || Hanovre || Guerre mondiale (1914-1918)-- Pièces de théâtre || Book || Théâtre en captivité || Front || Remembrance || Guerre mondiale (1914-1918) -- France
Photographie de famille pendant la permission
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Famille Ottenheim, à la maison de Corneville sur Risle, pendant la permission de mon grand- père. Photographie sur plaque de verre.