TOUJOURS PLUS VERS L’OUEST | MARCHE TOURMENTÉE D’UNE FAMILLE VERS LA LIBERTÉ (1914-1919)
Texte dactylographié orginal; Texte retapé enjolivé de photos fournies par la famille.
TOUJOURS PLUS VERS L'OUEST
MARCHE TOURMENTEE D'UNE FAMILLE VERS LA LIBERTE
(1914-1919)
C'était par un riant après-midi d'été. Le soleil baignait la grande villa des « Conifères » et se reflétait sur ses hauts pignons blancs et noirs style normand qui avaient en vain la prétention de donner à la maison un air de cottage rustique. La famille était dispersée dans le parc où l'on percevait des cris joyeux. Le père, préoccupé de recueillir des documents originaux sur le langage des enfants, écoutait discrètement dans un coin des bosquets les balbutiements de sa plus jeune fille Irène, dont il s'efforçait de constituer le vocabulaire enfantin.
Certes cette paix n'allait pas sans peu d'inquiétude, de même que le bleu de ce ciel de juillet se parsemait déjà vers l'ouest de cumuli ouatés dont la blancheur passait doucement vers le gris-bleuâtre annonçant les ondées.
Des visiteurs - il y en avait beaucoup aux « Conifères » dont le tennis des mercredis était très fréquenté - avaient parlé de l'attentat de Serajvo et de la tension internationale qui en résultait. Mais, combien de fois n'avait-on pas alerté le monde par des différents entre nations, sans que mal s'en suive ! Fachoda et Agadir étaient frais dans les mémoires et après tout notre mère française, dès notre première enfance, tout en nous entretenant de la guerre de 1870, ne nous avait-elle pas fait comprendre que « les mitrailleuses allemandes étaient devenues si terribles que l'on ne songerait plus jamais à leur donnée l'occasion de fonctionner ». En outre, Guillaume II n'avait-il pas, l'année précédente, invité les peuples du monde à s'unir fraternellement pour une paix durable ?
Malgré la fragilité des bonheur humains, n'est-on pas trop disposé à croire à ce que l'on espère ? Nême duand les ultimatums eurent étés lancés et les mobilisations enntamées de toutes parts, la neutralité belge n'était-elle pas sacrée et ne serat-elle pas respectée comme en 1870 ? En vain, des personnes revenues en hâte de l'Allemagne nous avertissaient-elles que des suites ininterrompues de trains militaires venant de la Rurh se dirigeaient vers nous, nous ne pouvions croire à la félonie du « chiffon de paper », ni à la soi-disant folle imprudence stratégique de se mettre à dos un adversaire de plus, au moment où celui-ci venait sous l'impulsion du Comte de Broqueville, de moderniser son armée. Sans craintes spéciales, donc, nous avions ma femme et moi, entrepris une excursion vers le littoral et c'est à Oost-Duinkerke que nous avions appris que le conflit devenait inévitable entre la France et l'Allemagne. Toutefois, le douanier, l'arme à l'épaule, à côté du drapeau belge hissé sur une haute dune, nous avait apparu comme le symbole de l'inviolabilité de notre territoire.
Au retour par un train bourré d'Allemands fuyant nos régions d'un air soucieux, nous fûmes désappointés de ne pas êtres accueillis par notre chauffeur; il avait été réquisitionné en même temps que l'auto. Rentrés au home de la chaussée de Tirlemont, nous ne tardâmes pas à voir défiler devant notre habitation, des milliers de soldats belges dont la tenue et le nombre nous persuadaient naïvement qu'ils feraient hésiter tout envahisseur, tenté de franchir nos frontières.
Hélas ! Comme un coup de foudre dans un ciel serein, nous stupéfia bientôt la nouvelle que les Allemands avaient commis l' « invraisemblable imprudence » de s'introduire dans les pays de Herve. Mais, il y avait eu les forts sz Idège et il ne pouvait être question de voir pénétrer jusqu'en Brabant les légions germaniques.
A part les inquiétudes au sujet de Robert Silvercruys, mon beau-frère, alors servant l'infanterie autour de Liège, le début de cette période si éminemment inquiétante fut encore accepté avec un certain sourire. Les « Taubes » allemandes dans le ciel nous amusaient, les campements provisoires des guides aux pantalons amarante et les lanciers bleu de ciel autour de notre parc étaient une distraction appréciable.
La vue de quelques soldats affalés sur nos talus à la suite de marches forcées nous suggéra l'idée de faire transformer l'école voisine en un petit hôpital. Nous-même remplîmes notre garage de matelas de façon à pouvoir loger aisément les troupes de passage, allant vers l'est.
Un jour, pourtant, la direction des armées se fit nettement en sens contraire et nous eûmes à héberger une vingtaine d'officiers. Au début, ce fut une occasion de conversations animées et presque joyeuses, mais cette atmosphère changea complètement quand on vit arriver de Korbeek-Lo, en uniforme chamarré, chevauchant gravement vers l'ouest. Nous ne pouvions plus douter que le Roi abandonnait son séjour chez le baron de Dieudonné. Des gardes civiques étaient, dans l'entretemps, venus occuper notre parc et préparaient des barricades avec les palmiers et les orangers de nos serres. On les régalait d'un champagne qu'ils acceptaient allègrement en nous disant qu'il valait après tout mieux que ce soient eux qui en profitent que cet envahisseur qu'on commençait sérieusement à attendre, malgré les bulletins fr victoire de Halen et autres lieux dont parlaient nos journaux. Ceux-ci venaient même de publier un communiqué « officiel » certifiant que notre armée avait la situation bien en main et que toute pénétration ultérieure de l'ennemi était « définitivement écartée ». Ici encore on a accepté ce mensonge avec cette facilité de croire à ce que l'on aime que nous avions signalée plus haut.
Mais, des troupes poussiéreuses et affairées encombraient dr plus en plus la chaussée de Tirlemont et un de nos hôtes officiers vint nous avertir, l'air grave, que nous ne pouvions rester dans notre maison et notre parc, destinés à servir de dernière embuscade au moment où les éclaireurs allemands apparaîtraient sur la colline du Mol.
Là-dessus, se produisait chez nous un fatal désarroi, par suite de la difficulté de décider ma femme à quitter ce qu'elle considérait comme son poste d'honneur. En hâte on cacha quelques objets tout en laissant dans l'immeuble bien des choses précieuses qu'il eût été facile d'emporter. Quelques argenteries seulement avaient été enfouies sous terre et l'on partit avec une petite malle posée sur la voiturette, portant notre plus jeune enfant. N'était-on pas persuadé que l'on reviendrait sous peu après un court séjour à Louvain-Ville, chez notre mère ?
L'idée d'incendies ou de massacres ne nous traversa même pas l'esprit. Les Allemands ne s'étaient-ils pas, en général, bien conduits en 1870 ?
Après une nuit passée en ville, on se réveilla au son rauque des canons tirants incessament du haut des collines du Hageland. Je me rappelai alors que, dans la hâte de notre départ de la villa, j'avais oublié de cacher mon fusil de chasse. Or, il circulait déjà des récits des sévices allemands contre les personnes possédant des armes.
A vélo, je retournai aux « Conifères » et pendant que je cherchais une cachette pour le fusil, je vis arriver une escouade de lanciers belges démontés qui prenaient position chez nous. Il était temps de rentrer à Louvain. Les officiers qui me voyaient à vélo crurent même que je venais de plus loin et me demandèrent en vain des renseignements sur la marche de l'ennemi. Revenu auprès des miens, j'appris qu'on allait faire évacuer la rue dite « des Joyeuses Entrées » (ô ironie) par ou pénétreraient les Allemands et où nous nous étions précisément réfugiés. Si l'on ne pouvait rester dans cette maison, autant valait partir plus loin vers la capitale qu'on proégerait peut-être et, en tout cas, où l'on serait perdu dans une vaste population et accueilli chez nos beaux-parents.
Cette fois, là décision fut vite prise et l'on put encore attraper le dernier train quittant Louvain pour Bruxelles. Nous nous y entassâmes après avoir causé avec notre cousin, l'ingénieur Verdeyen qui, la mort dans l'âme, procédait à la destruction du système des voies et signaux de la gare de Louvain, récemment électrifié avec grand art.
Ce fut notre premier pas vers cet ouest qui devait nous attirer toujours plus loin jusqu'au Pacifique. L'arrivée à Bruxelles où nous trouvâmes un toit dans la maison de nos cousins Verdeyen, alors en séjour à la mer, commença par un certain soulagement. Mais, ce ne fut que de courte durée. Le lendemain déjà la cacalerie prussienne traversait la capitale excitant plus de curiosité que de dépit parmi les foules résignées qui la regardaient défiler. Aucun applaudissement, naturellement, sauf, hélas ! de la part de nos sottes servantes hollandaises. Ignorant la rapidité de l'avance de l'ennemi, nous avions songé un instant à partir vers le littoral. Nous nous étions placés dans un train qui, de fait, s'ébranla en direction de Tournai, mais à Ruisbroeck, il s'arrêta longuement et finit par rebrousser chemin vers Bruxelles. Les uhlans avaient déjà coupé la voie. Contraints donc de nous établir à Bruxelles, nous acceptâmes l'idée d'y faire un séjour prolongé en attendant on ne sait trop quel événement.
L'atmosphère dans la capitale, d'abord pleine de résignation, s'assombrit graduellement. Les communiqués affichés en trois langues par l'occupant ne parlaient que de défaites alliées. Ces textes avaient même réussi à noyer la nouvelle de la bataille de la Marne sous une nuée de petits engagements, où l'on ne se retrouvait pas et qui, naturellement, étaient présentés comme « conformes au plan allemand ».
Seuls les gémissements d'une dame allemande au sujet de son armée en danger en France nous donnèrent l'impression que les communiqués pouvaient cacher des revers. De plus en plus, on se sentait sous une étreinte. Les pas de l'oie des soldats, leurs coups de crosses brutaux sur nos pavés écrasaient fortement nos espoirs tandis que la ritournelle des cornets avertisseurs de leurs autos était ressentie comme une ironie. Mais nos sentiments envers l'envahisseur ne devait pas tarder à prendre un caractère encore plus hostile.
Lors d'une de ces promenades pas les rues de Bruxelles que nous imposaient notre désoeuvrement et notre soif de nouvelles, près de la porte Louise, mon attention fut attirée par un convoi de camions et de canons allemands sur lesquels j'eus la surprise d'apercevoir, l'air lamentable, une série de professeur ecclésiastiques et notamment Mgr de Becker, président du collège américain.
Incompréhensible d'abord, ce spectacle intriguant se compléta peu à peu de récits effrayants de la part d'innombrables réfugiés louvanistes qu'on rencontrait à chaque pas, on avait brûlé Louvain, on y avait tué beaucoup de monde et emporté spécialement les prêtres et religieux, comme ôtages.
L'Amérique étant encore neutre à ce moment, c'est à l'Ambassade des Etats-Unis qu'on courait aux renseignements. Malheureusement, on y était reçu par un Belge un peu bougon qu'on y avait chargé de répondre laconiquement aux innombrables curieux qui allaient à cette adresse. Avec un air tragique, cet homme affirma que les Louvaniste avaient réellement tiré et que des coups de fusil avaient accueilli la voiture d'un attaché américain qui était allé sur les lieux.
Tout cela paraissait non seulement épouvantable mais invraisemblable. Aussi l'enquête fût elle poursuivie. Les témoignages les plus nombreux furent recueillis de la part de gens appartenant aux classes les plus diverses. Personne n'avait vu de Louvaniste, l'arme à la main. On avait entendu des coups de feu dans certains coins de la ville mais - comme on le sût plus tard avec plus de certitude - ils provenaient de soldats Allemands. C'étaient ces derniers aussi qui avaient voulu impressionner les Américains par des coups de fusil anonymes.
Mais que devenaient nos maisons dans ce sac général, lequel comme on venait de l'apprendre, avait sévi spécialement à la chaussée de Tirlemont? La-dessus les données étaient loin d'être concordantes et l'on put se faire une idée de la difficulté qu'il y a à des précisions par témoignage. Du haut des collines du Lo, quelqu'un avait vu que des villas n'avaient plus de toit, mais quelles villas et quel degré de destruction? On disait aussi qu'à la rue des Joyeuses Entrées, on avait incendié la maison de ma mère. (Nous apprîmes dans la suite qu'il s'agissait de la maison voisine, mise en flammes parce qu'un cadavre de cheval avait été ramassé en face.) Les Halles, hélas ! avaient bien été consumées avec les trésors de la vieille université et les incunables des imprimeries louvanistes du XVe siècle.
Atterré pas cette destruction de ce que j'aimais tant, je me rappelle avoir dit à ce moment que j'aurais bien donné ma vie pour sauver ces précieuses reliques, gloire de notre institution. Inutile d'insister sur cette horrible destruction de Louvain, qui appartient à l'histoire comme celle de Dinant et autres villes. Privés de journaux et ne connaissant pas encore la radio, on s'est jeté sur le seul journal que les Allemands avaient laissé paraître. Il parlait de la mort de Pie X et donnait la photographie des villes où la destruction avait eu lieu mais naturellement sans trace de ces dernières.
Cette absence de moyens d'information faisait apparaître non seulement la fragilité des témoignages mais l'aisance avec laquelle les légendes ont pu naître avant l'existence de la presse.
La fabuleuse de l'arrivée des troupes russes en Flandre en est le plus bel exemple.
Nous savons maintenant que le point de départ de ce bruit est simplement le fait que parmi les troupes belges avaient débarqué à Zeebrugge, se trouvait un officier muni d'un képi en fourrure qui avait étonné quelques spectateurs à cet endroit. « On dirait des Russes ! » et répété de bouche en bouche cette réflexion devint « Il arrive des Russes ! ». Cette nouvelle tombait naturellement à point dans un milieu où l'on était prêt à se rattacher/à à n'importe quelle raison d'espérer une délivrance. Celle-ci paraissait, en effet, moins invraisemblable depuis que l'on avait vu les troupes allemandes dévaler en désordre sur le boulevard Léopold II, fuyant devant l'avance des troupes belges qui, venant d'Anvers, les avaient attaqués, au moment où se jouait en France une partie décisive. Nous fîmes tous les efforts pour obtenir des confirmations. N'ayant pas encore pénétré alors dans les milieux parlementaires, j'avais la naïveté de croire qu'on devait être bien renseigné et je m'adressai à un important sénateur qui m'affirma que la nouvelle était sérieuse.
On voit que si la guerre fait apercevoir des fonds d'héroïsme insoupconnés chez les uns, elle dépouille bien des personnalités du prestige qui les entoure en temps de paix. Une impression semblable ne nous a-t-elle pas saisis quand, en 1940, les gouverneurs français et belges, échoués en débandade à Bordeaux, nous apparurent si décontenancés dans leurs attitudes et leurs propos. Si en plein vingtième siècle, les légendes peuvent ainsi se créer, et celle des troupes Russes n'est de loin pas la seule qui obtint créance dans la Belgique occupée, comment ne pas comprendre que 20 ans après Waterloo, il y eut déjà une sorte d'épopée napoléonienne ? Combien plus aisée encore dut être la génèse et la propagation des légendes aux époques où l'on admettait avec facilité le merveilleux dans les faits humain !
Pourra-t-on jamais extirper complètement des livres d'histoire - surtout en Allemagne - l'affirmation que les civils ont tiré à Louvain et les historiens de l'avenir ne considéreront-ils pas comme une source de premier ordre la manière injuste dont Churchill a parlé du rôle des Belges en Flandre au début de la seconde guerre mondiale ?
Mais, martelant impitoyablement tous nos faux espoirs, le gros canon Allemand ne cessait de faire entendre ses décharges à Maubeuge, à un rythme aussi régulier que le jet des geysers. On allait l'écouter dans la forêt de Soigne, comme peu après on le fit pour le tonnerre du bombardement d'Anvers. Des boulevards de grande ceinture près de ce tir où tant de Belges allaient être fusillés, ces grondements incessants faisaient l'effet d'un formidable orage. Cependant, Anvers n'était-il pas le « refuge national » réputé imprenable ? nous devions bientôt apprendre que dans la lutte proverbiale entre la cuirasse et le boulet, nous étions en grande infériorité en 1914.
Mais en même temps qu'on commençait à craindre pour Anvers, se présentait une occasion imprévue d'échapper à l'étreinte.
Les professeurs de Louvain réfugiés à Bruxelles venaient d'être convoqués au Collège S. Louis par leur recteur, Mgr. Ladeuse. Il leur fut exposé que l'université de Cambridge, émue par la destruction de notre université, nous proposait de transporter nos cours dans ses locaux. Certes, le recteur comprenait comme nous l'impossibilité de répondre complètement aux vux de nos amis anglais, mais leur geste si hospitalier ne pouvait se heurter à un refus et l'on pria ceux de nos professeurs qui le pouvaient de trouver moyen de gagner l'Angleterre et d'y constituer tout au moins un noyau universitaire.
Certains collègues obtinrent l'autorisation de se rendre en auto vers la Hollande par Maastricht.
Nous décidâmes d'en faire autant. Je me rendis à la Commandantur pour obtenir le permis en question. Je dus énumérer les membres de ma famille, y compris la gouvernante. Comme on pouvait craindre que cette dernière ne fût Anglaise, j'insistai sur le fait qu'elle était bien Belge. A ma grande surprise, l'employé décréta immédiatement qu'elle ne pouvait obtenir la permission de passer la frontière. Les Allemands ne pouvaient pourtant pas ignorer qu'il avaient autorisé nombre de Belges à partir pour Maastricht, mais ils admettaient que la fiction que c'étaient des Hollandais aussi longtemps que ces personnes n'affirmaient pas expressément leur qualité de sujets belges.
Force nous fut donc de renoncer à ce moyen si commode de partir pour Cambridge. Au reste, notre collègue P. VAN DE VEN qui désirait nous accompagner espérait trouver sa femme à Ostende et insistait pour que nous partions vers la mer. Nous parvinmes à louer un vieux break que tireraient deux chevaux assez caducs pour avoir étés laissés comme rebut lors des réquisitions allemandes. Et, en avant ! nous n'avions pas encore quitté l'agglomération qu'au pont d'Anderlecht, les sentinelles nous barraient la route, exigeant notre permis de circulation. A défaut de mieux, j'exhibais un petit document qu'on accordait aux laitiers de la banlieue, les autorisant à circuler avec une charrette à deux chevaux. Mais le billet portait un cachet de la Commandantur ! ce dernier fit sur ces soldats l'effet magique habituel. Nous pouvions continuer la route
jusqu'à nouvelle surprise. Tout alla bien jusqu'à Hal et en croisant sur noter chemin un gros troupeau de bufs, nous nous réjouissions de quitter le pays où, nous semblait-il, les réquisitions ne tarderaient pas à faire régner la famine.
Hal était occupé par des troupes de vieilles classes.
Un duo d'officiers allemands, l'un grand et maigre, l'autre rond comme une outre et tous deux l'air très dépaysé, nous fit penser à Double Patte et Patachon.
Les chevaux très fatiqués nous amenèrent enfin à Enghien où grâce à l'aimable bourgmestre, nous obtinmes une place dans un hôtel. Le lendemain, on quitta cette ville de grand matin, salué à la sortie par un piquets de soldats autrichiens à l'air très inoffensif et nous rentrâmes dans une région encore vierge de tout contact avec l'ennemi. On y voyait même des facteurs belges distribuant à l'ordinaire des lettres à une population qui savait bien peu des graves évènements dont était affligée la plus grande partie du royaume semblait-il. A Renaix, des attroupements se formèrent autour de notre voiture. On nous demanda de ce qui en était des Allemands et de Bruxelles. On nous conseilla de partir vers Audernade, ce que nous ne manquâmes pas de faire en dépit de la grande côte où haletèrent nos haridelles à tel point que nous dûmes descendre du véhicule pour en alléger le poids. Et voilà, qu'à notre grande surprise, nous découvrons qu'Audernade vient d'être occupé par des troupes allemandes. Un fringant officier nous crie : « Warum flöhten Sie denn ? » - « Wir flüchten gar nicht, répondons nous, wir reisen ! » et de fait nous allons vers un but final précis.
Malgré nos préoccupations, nous admirons l'hôtel de ville qui, en petit, rappelait si bien celui de notre pauvre Louvain. Nos efforts pour obtenir des chevaux plus résistants restent infructueux et on se décide à quitter la gentille petite ville. Malheureusement, à la sortie de celle-ci, des gardes nous attendent. Il faut un permis de la commandantur. Mon collègue et moi retournons à pied vers la grand'place, à la grande frayeur des dames qui se voient déjà abandonnées sur cette route. Arrivés au bureau en question, nous avons l'heur d'y rencontrer un consul du Portugal qui s'y trouvait avec les mêmes intentions que nous. Nous comprenons qu'en formant groupe avec lui, très disposé à nous accueillir, nous nous donnons l'apparence d'être protégés par un pays, alors encore neutre. De fait, l'officier germanique tout astiqué de cuir sentant le neuf, nous accueille assez courtoisement. Avec ironie, cependant, il nous dit que la guerre pour lui et ses troupes, très jeunes réserves envoyées dans l'urgence vers l'ouest, n'était pas seulement « fraîche et joyeuse » mais était une course sportive vers un ennemi se dérobant partout. L'Yser allait naturellement bientôt le détromper. En attendant, il nous accorda le permis de circuler à condition que nous allions vers Gand, alors occupée par leurs hommes. Nous ne tardons pas à rejoindre le voiture et à prendre une tout autre direction que Gand sans aller trop clairement vers l'ouest. A la nuit tombante, nous sommes à Kruishoutem où nos chevaux s'affaissent. Impossible de loger dans ce village. Chacun de son côté, court vers des fermes pour demander à louer un cheval. C'est ma femme qui y réussit non sans avoir dû repousser les importunités d'un paysan enivré. Mais ce n'est qu'une espèce de poney. N'importe, son propriétaire nous assure qu'il traînera le lourd véhicule le lourd véhicule et à toute vitesse, inclinant fort du côté où le cheval était attaché à ce timon fait pour deux bêtes, nous partons dans la nuit, le long d'une route étroite bordée d'arbres. Sans encombre, pourtant, on atteint Waregem où la gare de chemin de fer est encore dans la main d'employés belges, mais où la grand'place est couverte de jeunes paysans appelés sous les drapeaux. Un seul hôtel qui est bondé. On a, toutefois, pitié de ma femme et de mes trois enfants et l'on fait lever les servantes de l'auberge our nous donner leur lit. Le matin suivant, le problème du transport se présente de nouveau. Non sans peine, nous découvrons une petite charrette avec un jeune cheval et l'on repart pour rencontrer bientôt une embuscade anglaise attendant les uhlans. L'officier, très gentleman, examine nos papiers (si l'on peut dire) et avec un geste élégant, nous fait signe de continuer notre route. C'est ainsi que nous atteignons Roulers où toute la population massée sur la vaste grand'place attend l'invasion avec inquiétude. Près de la gare, un restaurant nous accueille. Nous y retrouvons le consul portugais. On commande un bon repas pour se remettre des émotions et des fatigues de la veille. Mais soudain, on vient annoncer qu'un train va partir pour Lichtervelde. Cela vaut-il la peine de le prendre ? Oui, assure le consul, car tout pas en avant est bienvenu quand on veut échapper à l'ennemi, et sacrifiant le dîner, nous transportons comme nous le pouvons la malle renfermant alors tout ce qui nous restait de notre avoir. On prend les gosses sous le bras et l'on s'entasse dans un wagon. A Lichtervelde, malheureusement, arrêt définitif du convoi. Les voyageurs se précipitent dans le village pour obtenir des moyens de transport. C'est à qui arrivera le premier et, à ce moment décisif, notre collègue s'aperçoit qu'il a oublié le manuscrit d'un livre à publier. Force nous est d'aller faire des déclarations à la gare et de laisser passer devant nous les charreettes les plus diverses. En fin de compte, nous devons être « tout heureux et aisés » de louer une brouette pour y charger la malle et le bébé. On ferait à pied le route de Kortemark. Au fiat, le temps est beau et la campagne engageante, au point que certains membres du groupe s'attardent par les sentiers tandis que fidèle à la consigne le paysan va à l'avant avec sa brouette et son précieux contenu. Je m'essouffle à le suivre et arrivé à la gare de Kortemark bien avant les autres. Là, après bien des parlottes, nous obtenons de prendre place dans un des trains de munition servant à évacuer le matériel belge d'Ostende vers l'Ouest. On nous entasse dans un fourgon d'arrière. Un petit poële y est allumé, car l'automne est déjà frais et le charbon qui doit alimenter le poële est répandu partout sur le plancher. Il y a d'autres occupants dans ce repaire obscur, entre autres une grosse bourgeoise à qui un sous-officier français fait une cour acharnée et visiblement n'est pas loin d'arriver à ses fins. Certains êtres sont visiblement incapables de se laisser pénétrer par le tragique des situations. Sans comprendre pleinement celui-ci, les enfants en sont quelques peu plus atteints, car ils nous assourdissent de nos cris. Il faudrait du lait pour le mioche et comme on s'arrête à Zarren, ma femme insiste pour que j'aille en chercher dans le village ou obtenir une place dans les autos dont on voit briller les feux le long de la route voisine. Comment résister à ces instances ? me voici dans la petite gare, et
soudain je me vois entouré d'officiers belges très agités. « Enfin, nous en tenons un ! » - « Que me voulez-vous ? » - « Vous êtes un de ces espions qui infectent la région ! » - « Erreur absolue, je demandais seulement où vont ces autos et s'ils ne peuvent recueillir ma famille? » - « Où est votre famille ? » - « Dans le train. » - « Ce n'est pas sa place dans un convoi militaire et puis
dîtes ! Comment expliquez-vous votre présence à dix heures du soir sur le passage des troupes pour y poser vos questions ? » - « Je suis un professeur de Louvain se rendant par moyens de fortune en Angleterreoù son recteur l'envoie » - « Avouez que vous n'avez guère l'air de ce que vous dites ! » - « On va vous fouiller ! » - « Qu'est ce que c'est que cette carte ? » - « C'est celle qui m'autorise à aller à mon coffre à la Société Générale. » - « Nouvelle invraisemblance ! » - Cependant rien de particulièrement suspect ne se trouve dans mes poches et les officiers s'éloignent me laissant sous la garde d'un employé de la gare. Pendant que je me demande ce qui va m'arriver, j'interroge cet homme. « Où sont-ils allés ? » - « Chercher les gendarmes ! » - « Mais je ne puis abandonner ma famille ! » - « Pourquoi ne la rejoignez-vous pas ? » - « Parce que vous êtes là ! » - « Oh ! cela n'est pas un obstacle ! » - « n'y a-t-il pas un sentinelle qui m'enverrait un coup de fusil ? » - « Pas question de cela ! » - Prudemment, je me glisse et constate hélas ! que le concoi s'est avancé. Je vois cependant sa lumière rouge au loin et sa vitesse ne dépasse pas les deux à l'heure. Une course le long de la voie s'impose. A un petit pont, je tombe à plat ventre à cause de deux barres qui y sont placées pour maintenir les rails. Je me sens blessé aux jambes et au front, mais le temps presse et la course continue. Je rejoins le train où je constate que mon absence intrigue légèrement mais ne produit nullement l'inquiétude qui s'imposerait. On a oublié la consigne donnée et l'on me croit sur un wagon voisin. Enfin, vers trois heures du matin, on arrive à Dixmude. L'atmosphère du fourgon m'a assoiffé à un tel point que j'essaye de me rafraîchir mes lèvres avec de l'eau de pluie qui se trouve dans les rainures d'une barrière. On nous autorise à prendre place dans une voiture de chemin de fer qui date au moins de 1870 et essayons de dormir.
Dans la lumière falote éclairant cette lugubre chambre à coucher, je distingue que certains de mes compagnons de voyage sourient de l'étrange figure que je tire et je pense, une fois de plus, que pour beaucoup, il est difficile de se mettre dans l'ambiance que les moments imposeraient.
Le lendemain, on constate que Dixmude est un vrai camp de l'armée belge. Je fais panser ma petite blessure tandis que ma femme va d'officiers en officiers s'informer si son frère, alors encore sous les armes, ne se trouve pas à cet endroit. Ses recherches n'aboutissent pas au résultat désiré mais ne sont pas infructueuses, car elle découvre un officier qui commandait le régiment en question. Celui-ci assure que ce frère a été évacué vers Dunkerque. Ce commando a, de plus, l'amabilité de nous charger dans une auto pour gagner Furnes.
Dans cette charmante petite ville, l'affluence des militaires est encore plus grande qu'à Dixmude. Comme j'y avais logé auparavant à la « Noble Rose », j'y conduis bravement et et naïvement notre groupe et nous déposons lourdement la malle dans le corridor, quand une servante affolée nous enjoint de quitter les lieux. « Le Roi est ici ! » Une auberge plus modeste, nous permet de prendre un peu de repos et de songer à la nuit qu'il sera impossible de passer dans cette ville. A un coin de rue, tout-à-coup, apparaît notre chauffeur dont la mobilisation nous avait privé. Toutefois, ce n'est pas notre auto qu'il conduit. Il nous apprend que ce dernier a été jeté dans l'Escaut lors de l'abandon de la place d'Anvers. Nous lui demandons de nous mener à La Panne, ce qu'il doit décliner, car il reçut des ordres excluant pareille direction. Force nous est de partir à pied vers cette station balnéaire où nous espérons trouver un logement. Heureusement une auto militaire emporte femmes et enfants tandis que mon collège et moi continuons la promenade jusqu'à La Panne. Là, en effet, dans un grand hôtel, aujourd'hui détruit, on veut bien nous recevoir. Il est rempli d'officiers qui se gaussent assez naïvement de ce que le corsage de ma femme soit déchiré. Après une nuit passée dans des draps souillés, le soleil brille sous nos fenêtres et je vais à la recherche d'un moyen de transport. On nous assure, en effet, que La Panne n'est pas sûr, car on s'attend à un siège de Dunkerque. Ne trouvant rien, je propose aux miens de profiter d'une des grosses barques de pêcheurs échoués sur l'estran. Cette idée est fort mal accueillie. On veut bien tout endurer sur ce qu'on a appelé : « le plancher des vaches », mais se sentir à la merci des flots capricieux paraît épouvantable. Du reste, ma femme ne doute pas qu'elle trouvera encore une auto. De fait, dès 10 heures, nous sommes recueilli par une voiture, mais nous avons la fâcheuse surprise de découvrir qu'elle nous dépose à Adinkerque. Nous voilà sur les bords du canal à attendre une nouvelle occasion. Un temps assez long se passe jusqu'à ce qu'une voiture consente à emporter les femmes et les enfants. Mon collègue et moi attendons en vain pareil avantage et sommes sur le point de pénétrer dans un chaland qui nous amènera pianissimo au port français quand, enfin, une auto accepte de nous recueillir. Et voilà Dunkerque, au seuil duquel on nous arrête et nous mène au quartier général français. Deux officiers français, pas désagréables mais très diserts, finissent par accepter nos vagues pièces d'identité et nos affirmations et nous partons à la recherche du reste de la famille qui elle, ne disposait du moindre papier. Nous apprîmes bientôt que le sourire et l'aplomb d'une dame peut plus qu'un passeport et que ma femme avait pénétré dans la forteresse en affirmant simplement que des diplomates la suivaient. Cette épouse audacieuse nous la trouvons près de la gare, assise avec nos enfants autour de la table d'un petit café. Triomphalement elle nous annonce que nous aurons cette table à disposition pour passer la nuit. Cette perspective était peu attrayante, on décide de prendre plus tôt un train pour Calais. Malheureusement, le nombre des amateurs est tel dans cette ville envahie de réfugiés qu'il faut attendre jusqu'au lendemain, rien que pour obtenir des billets. Mais n'allons nous pas à Cambridge dans un service commandé et ne pouvons-nous pas expliquer notre cas au consul d'Angleterre ? Aussitôt pensé, aussitôt entrepris. Ma femme saute dans un taxi, malheureusement déjà occupé par un officier belge qui galamment nous cède la place. Le consul nous envoie à l'amirauté qui s'est établie dans le meilleur hôtel de la ville : « le Chapeau Rouge ». On s'y rend et on arrive même à Calais à être admis auprès de l'amiral anglais. Dans sa langue, nous nous présentons comme des anciens de Cambridge (ce qui était mon cas) nous rendant à l'Old varsity. Nous obtenons de pouvoir, le lendemain, prendre place dans un navire transportant des blessés à Douvres.
Mais la question du logement n'était pas résolue. Voyant notre succès auprès de l'amirauté, l'hôtelier veut bien céder des fauteuils et un billard. Nous y dormons, aidés par la fatigue, mais dérangés par le voisinage d'un téléphone qui en pleine nuit servit à mettre le commandant anglais d'importantes opérations dans la marine, projetées pour le lendemain vers l'Yser.
Le matin arrivé, après une course effreinée vers les hôpitaux de Dunkerque pour retrouver mon beau-frère, on apprend que ce dernier a été transporté en Angleterre et ma femme s'embarque dès lors avec d'autant plus d'entrain dans le bateau anglais.
La mer est bonne. Les officiers belges blessés n'ont pas l'air trop malheureux, même un peu trop bons enfants aux yeux de ceux qui de loin ne voient dans la guerre que des héros. Assis sur le pont, on ne manque pas de distractions car, à tout instant, on croise des destroyers anglais qui nous saluent. Ce sont ceux qui vont à l'Yser pour aider à arrêter l'avance allemande sur ce petit fleuve devenu célèbre depuis lors.
L'arrivée à Douvres, à la nuit tombante, met notre patience à l'épreuve. Notre bâteau doit se retourner pour pénétrer dans le port d'après des règles déterminées. De toutes parts dans la nuit, les projecteurs lancent leurs rayons. Enfin, nous voici sur la terre ferme et sur une terre qui passait alors pour inviolable puisque l'aviation n'était qu'à ses débuts net que l'on ne parlait pas encore de sous-marins.
Une fois que nous sommes installés, enfin, dans un hôtel, normal et dans un pays, que la guerre, croyions-nous, ne pourrait atteindre, un chant joyeux s'échappe de nos poitrines.
Ici se terminait, en effet, la partie quelque peu « héroïque » de notre exode dont l'étendue et la durée devaient, cependant, dépasser de beaucoup nos conceptions du moment en question.
Sans encombre, nous devions le lendemain atteindre un Londres qui ne paraissait pas respirer une atmosphère de guerre et où nous trouvâmes aisément à loger notre groupe dans une pension près de Hyde Park. Ce n'était pas encore le but du voyage, mais on ne voulait pas s'aventurer vers la petite ville de Cambridge sans s'être assuré qu'un logement nous y attendait. Il fallait, du reste, que nous nous reconstituions une garde robe et Londres n'était-il pas l'endroit tout indiqué pour s'habiller ?
Mon collègue et moi nous rendîmes à Cambridge en éclaireurs et y trouvâmes des amis désagréablement surpris de ne pas encore nous avoir vus. Sans donc hésiter davantage, nous partîmes tous pour cette ville où j'avais conservé si bon souvenir de mon séjour en 1901. Notre fidèle ami, Ernest Harrison de Trinity College nous avait réservé une gentille maisonnette près du vaste « common », qui s'étend en face de la grande église catholique de Our Lady and the English Martyrs. Bien qu'à l'étroit, on pouvait y éprouver un sentiment « at home » très consolant après nos aventures. L'accueil aimable de nos voisins y contribuait certes.
Seule, ma femme ne pouvait s'y sentir à l'aise tant qu'elle n'avait pas retrouvé son frère. Assez rapidement, par le consulat de Belgique, elle parvint à entrer en relation avec lui et obtint qu'il quitte l'hôpital militaire pour se faire soigner chez nous. Le jeune homme souffrait d'une jaunisse avec hémorragies qui régnait dans les tranchées au début de la guerre. Par son caractère contagieux, elle se communiqua même à un de nos enfants. La présence du nouvel arrivé rendait notre petit home de plus en plus étroit et notre ami Harrison obtint de son collègue à Trinty College, le professeur Wothem, dont la famille était absente, que notre maisonnée, jointe à celle du collègue qui nous avait accompagné dans nos périgrinations puisse s'établir dans le grande villa que possédait ce professeur « pretty well of » à la Chaucer Road. Cette habitation, située sur la Cam, en amont de la ville, s'appelait très naturellement : Up Water Lodge. C'était un charmant lieu de séjour entouré de prairies et de villas, à courte distance de l'admirable jardin botanique de Cambridge où, notamment, les chênes-verts que nous n'osons plus planter chez nous, poussent avec vigueur.
Conjointement à cette apparence de chez-soi, on donnait une apparence de cours dans une apparence d'université. Cette dernière s'était organisée dans les locaux de l'Emmanuel College, dont le président, le linguiste Giles était devenu un excellent ami depuis que j'avais été son seul élève à suivre ses leçons de syntaxe indo-européenne en 1901.
Les élèves étaient des réfugiés, principalement des Belges, comprenant des éléments assez divers, même des religieuses. Nos collègues étaient, notamment, les professeurs Dupriez, Van Gehuchten en Van den Ven de Louvain et venant d'autres universités : lrd professeurs L. de la Vallée-Poussin, Deschamps, etc. J'y donnais des leçons sur l'ancien français, et je passais souvent mes matinées dans la vieille bibliothèque adossée au Senate House où, comme étudiant en 1901, j'avais aimé à fureter - comme on le permettait alors - dans tous les rayons, en vue de préparer une étude sur le dieu indien : Yama.
Je me plaisais à voir de nouveau mon travail scandé pas les tons argentins du carillon sur St Mary the Great, si typique de Cxambridge comme, du reste, les sons graves des orgues de la glorieuse Kings College Chapel où, comme le dit un poète anglais, « music dwells, as loath to die ».
Mais peu à peu ces douceurs se sentaient menacées par le départ de presque tous les étudiants, appelés au front et par la disparition de certains professeurs. Un des disparus, hélas ! était le grand neurologue Van Gehuchten, décédé subitement dans une clinique de Cambridge après avoir été opéré de l'appendicite.
Cet homme encore jeune et au caractère gai avait, quelques jours avant son entrée à l'hôpital, causé agréablement avec nous à Up Water Lodge. Son enterrement attire à Cambridge ceux de nos collègues réfugiés à Oxford et le professeur Denys, très affecté par cette mort, prononça au cimetière l'éloge funèbre de ce savant don le fils continue aujourd'hui la carrière si prématurément interrompue.
Le départ du professeur Dupriez n'avait eu, au contraire, aucun caractère tragique. Il avait été appelé à l'autre Cambridge, celui de Massachusetts où, à peine débarqué, il fut amené dans un auditoire pour y faire un cours inaugural.
Comme visiblement ce qu'on a appelé « l'université belge de Cambridge » s'effritait, je m'efforçai d'obtenir également aux Etats-Unis une nomination qui eût un caractère plus durable. J'avais été, jadis, l'élève presque unique du professeur Waldenstein, lequel enseignait l'histoire de l'art grec dans le gentil musée de sculptures antiques de l'université de Cambridge. Ce personnage était un Juif roumain neutralisé qui s'était transformé en lord anglais et possédait à la campagne un château imposant. Ses relations avec ses corréligionnaires américains étaient d'importance et je n'hésitai pas à m'adresse à lui pour obtenir une invitation dans une université d'outremer. Celle-ci m'arriva subitement, plus tôt que je ne le désirais. Un télégramme me fixait une date très rapprochée pour me présenter à Columbia University à New-York. Comme ma femme était sur le point de me donner un quatrième enfant, j'aurais préféré remettre ce voyage mais on me fit comprendre que ce serait perdre complètement l'occasion qui se présentait.
Confiant donc le sort de mon épouse à un excellent médecin et, en dépit de la déception que je donnais à mes amis anglais peu admiratifs des Américains, mais peu prévoyants aussi de la durée de la guerre, je partis pour Londres afin d'y prendre le bodt train pour Liverpool. Ce dernier était bourré d'Américains dont l'animation tapageuse faisait, en effet, un contraste flagrant avec le flegme anglais.
A Liverpool, un Belge était chargé de s'assurer de la nationalité de ceux qui s'embarquaient en se présentant comme ses compatriotes. Il me demanda de prononcer quelques phrases en flamand et fut rapidement édifié.
La traversée de l'Américan Line se fit sans incidents
Charmante au début sous l'influence des courants des Açores, elle devint pénible aux environs de Terre-Neuve où soufflait déjà le traditionnel « blissart » du début d'Avril, lequel sévissait encore à notre arrivée à New-York.
Je passais beaucoup de temps dans le salon de steamer pour y préparer d'urgence cinq ou six leçons introductrices sur divers sujets, puisque je me rappelais l'aventure de mon collègue Dupriez et que j'ignorais absolument ce qu'on me ferait enseigner à Columbia.
A l'arrivée dans le grand port, la statue de la liberté prenait pour celui qui fuyait la Belgique occupée, une signification très spéciale, mais ce monument me parut trop petit dans l'immensité du spectacle.
Celui-ci était principalement effarouchant par la vue apocalyptique de Manhattan avec ses grattes-ciels de toutes formes, dressés en un bloc prodigieux, les uns après les autres et parmi lesquels il y en avait même un de style gothique. Un de mes compagnons de route voyant mon étonnement me souffla à l'oreille que tout cela n'était que le règne de l'argent et de la soif de richesse et ne méritait pas l'admiration d'un intellectuel européen.
Il n'avait certes pas entièrement tort, mais il faisait fi de nombreuses qualités que les préoccupations matérialistes n'étouffent pas chez les Américains, qualités qui s'étalaient au maximum dans la façon dont ils recevaient alors les Belges, car le sort de ceux-ci les avait fortement touchés.
L'accueil fut assez différent de celui qu'avait reçu mon ami, Dupriez. Deux très courtois amis de Waldstein me reçurent au quai et m'amenèrent à Columbia où j'appris qu'on me donnait 15 jours pour préparer des leçons, d'une part sur les langues iraniennes et d'autre part sur la grammaire comparée du roman. En attendant de commencer ces cours, on me priait d'aider un élève de l'iraniste Jackson à traduire l'épisode de Sevitrf dans le Mahâbhârata. Je devins donc immédiatement un rat de bibliothèque, à un moment où, en achetant des Bethleem Steel j'eusse pu faire presque une fortune.
Un jour, en sortant de la bibliothèque de Columbia, j'eus l'impression d'être atteint d'une forte fièvre. Entré le matin dans cet édifice en frissonnant, je me trouvais soudain dans un bain de 35 degrés. Telles sont, en effet, les sautes de température dans le printemps américain, soumis alternativement aux vents de la mer de Baffin ou à ceux des Antilles, créant ce qu'on appelle là-bas des cold ou des hot spells.
Cette chaleur ne tarda pas à transformer les environs de New-York en collines verdoyantes où s'apercevaient de très loin des fleurs d'un cornouiller précoce aux larges bractées d'un blanc de neige.
Les sous-bois plus complètements desséchés par le gel que chez nous, commençait à se garnir des amples feuilles du skonk cabbage (sorte d'arum) et l'on se sentait attiré vers les broussailles qu'on apercevait sur les rives d'en face de ce majestueux fleuve Hudson, coulant en bas de hauteurs où s'étalait gracieusement l'université de Columbia.
Mais je ne m'aventurai pas seulement autour de New-York. Je gagnais Philadelphie ou habitaient certaines personnes qui avaient fait la traversée avec moi et m'avaient assuré que je trouverais bon accueil à l'université de Pennsylvanie.
En visite chez le recteur de cette institution, j'eus l'agréable surprise d'apprendre, en effet, qu'on songeait à agréer un professeur belge et que l'orientaliste Jastrow - un corréligionnaire de Waldstein - avait eu vent de ma présence à Columbia et insistait pour que l'on m'offrit à une chaire de linguistique générale et de grec. Il va sans dire que cette offfre venait à point, car à Columbia je n'étais invité que pour trois mois.
Aussi quand, continuant mon petit voyage, je me rendis à l'Université Catholique de Washington, je dus décliner l'offre d'une chaire d'orientalisme, rémunérée, du reste, beaucoup moins largement qu'à Philadelphie. La proposition m'en avait été faite par l'orientaliste bien connu, Hyvernat, qui s'était figuré que j'étais un ecclésiastique en raison de mon type de spécialité. Cet excellent collègue n'en demeura pas moins un de nos meilleurs amis et un visiteur fréquent durant notre séjour aux Etats-Unis.
L'obtention d'un poste fixe et d'un revenu régulier rendait possible la venue en Amérique de ma famille restée sur la terre anglaise. D'autre part les conversations que j'avais à New-York, notamment avec le professeur français Pradelle me faisaient comprendre que la guerre par sous-marins ne ferait que s'accentuer et dès lors, je me décidai à envoyer à Up Water Lodge un télégramme suffisamment alarmant pour décider les miens à traverser la mer sans plus tarder. Le texte de ce message intrigua, toutefois, la sûreté anglaise qui vint en vain s'informer auprès des miens du type d'informations spéciales dont nous disposions.
Dans l'entretemps, la naissance de la petite Ethel avait eu lieu et le bébé était déjà en état d'être transporté.
Aussi appris-je un jour, avec plaisir, que je devais tendre à voir arriver un groupe de quatorze personnes.
C'était une journée étouffante de juillet pendant laquelle cinq cents chevaux étaient morts de chaleur. On voyait leurs cadavres dans les rues et ce hot spell avait fait pas mal de victimes dans la population, déjà désolée par une épidémie de paralysie infantile qui avait pénétré jusque parmi les auditeurs de mes cours.
Une légende, reproduite plus tard par le Pourquoi Pas de Bruxelles s'est créée, on ne sait comment. Elle raconte que malgré la chaleur extrême, j'avais préparé de gros pardessus pour les arrivants. En fait, je n'avais préparé pour tout ce monde que des logements provisoires à New-York en attendant de nous établir à Philadelphie.
Or, des collègues de l'université de Pennsylvanie eurent, sans tarder, l'amabilité de permettre pour quelques jours, que la famille soit logée dans un dormitory (nous dirions à Louvain : une « pédagogie ») déserté alors par les étudiants en temps de vacances et très peu après une maison de la Chester Avenue put nous recevoir, tandis que la famille de mon collègue irait se fixer à Princeton.
Nous eûmes le désagrément de constater bientôt que nos deux servantes recrutées en Angleterre et dont le passage avait été payé nous quittèrent sans autre forme de procès, attirées sans doute pas les salaires américains qui étaient cependant alors bien bas en comparaison de l'époque actuelle.
Nous payâmes, en effet, les remplaçantes huit dollars par mois. Plusieurs d'entre elles étaient des négresses, parmi lesquelles il y en eut qui disparurent avec divers objets. Aussi fûmes nous bien reconnaissants aux amis qui nous procurèrent une Française de la Ferté Milon, laquelle nous resta très attachée. De fait, nous ne pourrions pas avoir trop de gratitude pour tant de personnes qui ouvrirent leurs portes dans ce Philadelphie où les familles anciennes (celles qui ont au moins trois générations dans le plus vieux cimetière de la vile) constituent pourtant un monde assez fermé, comme les Européens ne s'attendent pas à rencontrer aux Etats-Unis mais qui existe pourtant non seulement à Philadelphie où l'on se plaît à descendre des Quakers de William Penn, mais aussi à Boston où l'on doit avoir eu un ancêtre sur le May flower, le navire qui amena les « first pelgrims » dans la Nouvelle Angleterre.
C'est également grâce à ces intéressantes relations que nous obtînmes le moyen d'échapper à la chaleur humide et accablante des étés philadelphiens, en nous installant dans une vaste villa à Drifton dans les Alleghanys.
L'accueil fait au « research professor » à l'université ne fut pas moins cordial. Les professeurs Jastrow, Edgerton, Kent, Crosby, Crawford, Taggart, Hyde et bien d'autres ont acquis un droit bien durable à notre reconnaissance. Le séminaire de philologie classique était un endroit idéal pour composer les nombreux articles, destinés aux revues américaines après avoir servi à de petites conférences dans les réunions des sociétés scientifiques, assez actives aux Etats-Unis et où l'on s'attendait à ce que le professeur étranger apportât quelque nouveauté.
C'est là, également, que fut terminée notre étude sur la mythologie de l'Iran, élaborée à la demande du linguiste R.L. GRAY dans la riche bibliothèque de Columbia University et qui devait être illustrée par la reproduction de miniatures empruntées aux manuscrits persan du Metropolitan Museum of Art à New-York.
Non seulement ces réunions de congrès, mais les délicieuses soirées intellectuelles du Franklin Club donnèrent l'occasion de faire ou d'entendre d'intéressantes communications.
Ajoutons qu'à Philadelphie, comme dans la plupart des universités américaines les réceptions entre collègues étaient fréquentes et pleines d'une charmante intimité.
De son côté, ma femme fut invitée à faire dans des cercles mondains des conférences sur la Belgique et sur sa littérature. Nous rencontrions les membres de ces mêmes cercles au Little Theatre où l'on donnait des pièces françaises.
L'occupation principale de mon épouse fut pourtant sa participation au Belgian Relief organisé à Philadelphie par un cercle de dames parmi lesquelles on comptait Mmes Bayard-Henry, Cawalader, Coxe, etc.
Cette collaboration comprenait notamment des Conférences en divers milieux. Outre ma femme, ma belle-sur Susanne Silvercruys excella dans ce genre d'activité. Agée d'une vingtaine d'années, après avoir appris l'anglais dans un pensionnat de Georgetown (les Washington D.C.) elle se révèle excellent orateur et eut un grand succès dans beaucoup de villes sous le nom de Little Belgian Girl.
A côté de mon travail scientifique, je fus emmené moi-même à ce genre de propagande dont l'utilité était d'intensifier dans les milieux intellectuels le climat favorable aux alliés et à la Belgique. Je fondis même avec mon collègue P. Van de Ven un Belgian Bureau of Information à côté de notre ambassade à Washington que présidait alors dignement le baron Cartier de Marchienne. Il s'agissait de concentrer les informations sur la Belgique et de les répandre sous forme d'articles dans les journaux américains. A ce travail de plume s'ajoutait celui des conférences. Une de celles-ci fut donnée un club d'hommes d'affaires de Philadelphie : le Clover Club. Elle servit même - de façon très américaine - de point de départ dans les journaux à certaines réclames. D'autre part, pendant qu'elle se donnait, ma femme, à mon insu, était emmenée dans une clinique de Germantown (près de Philadelphie) où elle devait donner le jour à notre fils, Georges. J'étais entré et m'étais endormi, ignorant ce fait et fut très surpris d'être réveillé par le téléphone vers cinq heures du matin pour apprendre cette naissance. Ne comprenant guère ce message inattendu, je le reçus plutôt mal, car je craignais que ce ne fut une mauvaise plaisanterie de quelque adorateur de ma belle-sur, Susanne.
Un autre incident comique se produisit lors de l'élection présidentielle. Hughes, de concurrent de Wilson était un des rares américains à porter la barbe. Or les premiers résultats donnèrent la majorité à celui-ci et provoquèrent dans la grand'rue de Philadelphie un bruyant enthousiasme parmi la foule à laquelle j'étais mêlé. Celle-ci apercevant en moi presque un sosie de Hughes me portèrent en triomphe.
Ce qui reposait un peu de cette vie agitée et plus qu'active, c'étaient les séjours d'été dans la propriété des Coxe à Drifton.
Bien que nous nous trouvions en plein pays minier, les paysages y avaient leur charme. D'une part c'était les vallées de Pennsylvania Dutch, occupées pas les descendants des vétérans wurtembergeois de la guerre d'indépendance et qui rappelaient complètement la Souabe, d'autre part les vastes collines boisées des Alleghanys dont les frondaisons voilaient les terrils et les exploitations charbonnières à ciel ouvert.
C'est une admirable occasion de faire connaissance avec la nature américaine. Déjà, à Philadelphie, je m'étais joint aux excursions naturalistes du professeur Mac-Farlane qui connaissait à fond la flore de la Pennsylvanie et du New Jersey et surtout celles des belles vallées du Wissahikon Park. Mais les vastes forêts des Alleghanys étaient encore plus intéressantes.
A côté de leurs nombreuses sortes de chênes, elles possédaient encore les chataîgners qui devaient bientôt être supprimés par l'impla cable maladie qui les a extirpés de la Pennsylvanie. Les sous-bois abondaient en myrtilles de tous et étaient ornés des laurels (Kalmia) aux gracieuses fleurs roses. Il s'y trouvaient malheureusement aussi des serpents à sonnettes dont le bruit sinistre se faisait parfois entendre jusque près de notre villa.
Moins inquiétante, mais beaucoup plus bruyante était la musique de nos cigales et de sauterelles qui, durant les nuit chaudes, retentissait sans cesse sur tous les tons. Il en est de même parmi ces insectes qui imitaient les chants d'oiseaux. En revanche il y avait les oiselets, les colibris (humming birds) qui butinaient sur les fleurs à la façon des sphinx crépusculaires et la gloire entomologique de l'Amérique, étaient les grands ledidoptères parents de nos machaons mais étalant des couleurs plus variées et plus brillantes, tandis qu'une grande phalène secouait lourdement ses larges ailes vert pâle.
L'automne (indian fall) enflammait tout ce paysage des teintes rubicondes des érables, liquidambars, cornouillers, sumacs, etc., ainsi que l'or des tulipiers et du brun ardents des chênes.
Nous commencions à aimer cette Pennsylvanie malgré les variations trop nombreuses et trop extrêmes de son climat et les multiples dégels, changeant si souvent Philadelphie en cloaque. Mais la tentation de trouver des cieux plus cléments et de pénétrer dans le romantique Far-West travaillait en nous et contribua à nous faire accepter l'offre d'une chaire linguistique à l'université de Californie, située à Berkeley près de San Francisco.
C'était par un soir d'hiver particulièrement glacial, durant la séance d'un de ces congrès qui servent essentiellement à recruter les professeurs qu'à New Haven (Conn.), le professeur Schevill me décida à échapper à ces frimas et à partir pour la côte Pacifique.
Ce n'est pas sans regret que nous quittâmes notre gentille maison de Spruce Street et nos si nombreux amis de Philadelphie tant dans le « monde » qu'à l'Université. Je confiai à d'autres mains le bureau de Washington où mon beau-frère, après avoir été professeur à l'Université du Michigan, avait reçu un poste d'attaché d'Ambassade. Il recueillit ma belle-sur qui ne pouvait quitter l'Est où son rôle de conférencière était si précieux. C'est également à Washington que le président Wheeler, de Berkeley, mit au point les détails relatifs à notre départ et à notre établissement dans son université.
Comme à New-York, je devais, encore cette fois, précéder ma famille, car il me fallait participer à une Summer Session, avant de commencer les cours proprement dits. Tandis que les miens s'établissaient cette saison encore, à Drifton, je partis donc vers l'ouest en passant par Buffalo où je pus contempler les chutes du Niagara sous la lumière falote d'une éclipse de soleil (je les avais vues deux ans, auparavant, en plein hiver, entourées de gros amas de glaçons, dignes des régions polaires.
Les grands horizons de l'Arizona me laissèrent une impression inoubliable, ainsi que le Great Canyon, une des grandes merveilles de ce monde, le désert coloré et les plaines près du Mexique où les yuccas, les cactus et les dracaenas étendent leurs bras tors et leurs raquettes bizarres. Curieuses aussi les rives du Rio Grande où des tribus indiennes continuent encore leur existence traditionnelle avec leur petits chevaux, leurs tentes et leurs costumes bigarrés. Los Angeles, qui n'était alors que le quart de ce qu'il est devenu depuis lors ne m'impressionna pas spécialement, mais San Francisco me présenta un des plus beaux paysages du monde. Au premier contact, l'atmosphère y semble trop froide à celui qui vient de l'été de l'est. Graduellement, on s'habitue à cette température qui toute l'année se maintient aux environs de 17 à 18 degrés.
Ce climat célèbre de la Californie mérite certes la réputation qu'on lui a faite ainsi que l'admiration qu'en ont les habitants. Il est, en effet proverbial que tout Californien demande à chaque visiteur : « que pensez-vous de notre climat ? ». comme à Philadelphie, on s'informe du nombre d'ancêtres, à Boston de ce qu'on connaît, à New-York de ce qu'on possède, à Chicago de ce qu'on sait faire, etc. Il s'agit sur cette côte, d'une vraie riviera, différant de celle de Nice par ses brumes légères et par la fraîcheur de son été, mais bien semblable à elle par sa végétation, car si paradoxal que cela puisse être, on retrouve à cette distance de la Méditerranée des lauriers, de vénérables Chênes verts et des pins au port capricieux. La sécheresse est plus grande en Californie qu'en Brovence. Pendant six mois, il ne tombe pas une goutte d'eau et les collines toutes grises sont recouvertes de plantes grasses et aromatiques supportant la sécheresse. Seuls les vallons sont ombragés de chênes-yeuses au feuillage sombre. La sécheresse du sol convient à une sorte d'écureuils à terriers qui pullulent par place plus que les lapins chez nous.
L'Université, dont les blancs édifices et le gracieux campanile s'aperçoivent de très loin, a su, toutefois, s'entourer d'un cadre plus riant grâce a de vastes plantation d'eucalyptus, de palmiers, de mimosas et surtout en opérant de façon artificielle le boisement des hauteurs qui la surplombent. La vue dont on jouit de ces collines et le golden gate est prestigieuse, surtout au soleil couchant, quand les derniers feux de ceux-ci dorent encore le sommet de ce mont Tamalpaïs qui joue dans tout ce paysage le rôle du Vésuve dans la baie de Naples.
Le chant des oiseaux manque. Aucun autre son que les notes monotones d'un gentil passereau et le lourd froufroutement des geais bleus.
L'Université, l'une des plus importantes des Etats-Unis possède d'admirables installations et offre, notamment à ses professeurs, un gracieux Faculty Club où je trouvai asile pendant les premiers mois de mon séjour et où l'on peut entretenir de très agréables conversations.
Entre le Summer Session et l'ouverture des cours, je m'empressai, toutefois de quitter ces lieux charmants pour parcourir la superbe région environnante. L'excursion la plus proche et la plus indiquée amène aux Muiy Woods où, dans un grand plis de terrain, s'étale une fûtaie de gigantesque exemplaires de ces « Red Woods » (Sequoia sempervirens) dont le bois rosé très résistant est malheureusement apprécié au point d'avoir amené l'abattage d'un trop grand nombre de ces énormes Palos Altos, comme disent les espagnols , mais les Muir Woods ont échappé et sous leurs ombrages imposants on trouve une végétation qui semble avoir voulu se mettre au diapason de la fûtaie, car même les exalides, y ont le triple de la taille des nôtres. De ces bois merveilleux, on entreprend l'ascension du mont Tamalpaïs d'où l'on domine toute la région par un temps clair mais d'où, ce soir-là, mon ami Woodbridge et moi fûmes gratifiés d'une immense mer de nuages.
Si imposantes que soient les Muir Woods ; ils ne peuvent pas être comparés au Sequia National Park, près de Fresno où je ne manquais pas de me rendre. Il s'agit ici du frère botanique du sequoia sempervirens, le sequoia giganta qui le dépasse encore en taille et en longévité.
Quinze cent de ces géants (vieux de 1000 à 2000 ans) garnissent cette forêt unique au monde que je parcourus en tous sens sans me soucier ni de la lourde chute des formidables cônes des pins (pinus Lambertiam), ni des lions-pumas, des ours grisslis et des loups coyotes qui peuplent ces bois et dont les cris divers troublaient le silence de mes nuits passées dans une cabane au pied d'un arbre ayan plus de trente mètres de tour.
Moins imposante, mais guère moins intéressante est la région du lac Tshoe que je parcourus avec certains de mes collègues. On y trouve un hôtel de montagne sur les rives du petit lac appelé Fallen Leaf, parce que sa forme rappelle celle d'une feuille de chêne tombée sur le sol. C'est un admirable centre d'excursions, comportant de petites ascensions vers la Desolation Valley, au roos dénudés contrastant avec la végétation variée de ces vallées où dominent surtout les pins et les lobocèdres. La faune y comprend des castors, ainsi que des chipmunks, aimables petits écureuils , très peu farouches au point de venir partager nos picks-nicks dans des lieux sauvages où certes ils n'avaient certes pas pu se familiariser avec les humains.
Malgré les charmes de ces excursions, j'aspirais à revoir les miens qui s'attardaient plus que mesure, retenus pas les agrément du séjour dans les Alleghanys.
Ils étaient, du reste, d'ans l'attente de précisons quant à la demeure qui les attendait dans le lointain Ouest. De fait, ce n'est qu'après bien des efforts que je trouvai un villa assez grande pour les recevoir. Elle était, il est vrai, très spacieuse et admirablement campée sur les collines du North-Berkley, où s'étageaient les nombreuses villas des professeurs. Elle méritait pleinement son nom de Buena Vista par le panorama qu'elle offrait vers la baie et le Golden Gate, cette porte d'or où l'extrême ouest de la civilisation européenne, que nous avions finalement atteint, s'ouvre une route vers l'Extrême Orient à travers l'immensité de l'Océan Pacifique.
Ma femme fut rapidement charmée par ce décor, par la table chargée de beaux fruits que produit en abondance la Californie ainsi que par les balcons où, en plein air, l'on pouvait faire dormir la famille.
Nos voisins étaient, du reste, très agréables bien que parfois étranges, puisque Berkeley attire non seulement des savants mais des artistes et des excentriques de divers genres. A côté de nous s'élevait une sorte de temple grec où la famille d'une amie et émule d'Isidoria Duncan passait sa vie en pleine nature se nourrissant de noix et exécutant dans la fraîcheur des matins des danses dans les montagnes. Ce paysage de rêve amena, du reste, ma femme à l'imiter avec ses petites filles.
Cette existence ensoleillées fut assombrie pas la terrible épidémie de la « grippe espagnole » qui atteignit cette terre paradisiaque comme le monde entier en cette fin de guerre. Des précautions spéciales furent, toutefois, prises et le port d'un masque en tulle fut rendu strictement obligatoire, ce qui freina la contagion. Celle-ci n'en avait pas moins fait beauco
Comment Albert J. Carnoy et sa famille se sont échappés de Louvain et vécu la Guerre en Angleterre puis aux États-Unis, militant pour l'entrée de ceux-ci en guerre contre l'Allemagne
Transport
Memorabilia
Document dactylographié où mon arrière grand-père raconte comment lui et sa famille ont vécu la Guerre 14-18.
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Remembrance
50.8798409,4.7004918999999745
Louvain
Document re-dactylographié par la famille en 2012, enjolivé de photos retrouvées dans la famille. Mon arrière grand-père raconte comment lui et sa famille ont vécu la Guerre 14-18.
50.8798438,4.700517600000012
CONTRIBUTOR
Christophe Dupriez
DATE
1914-08 - 1919-05
LANGUAGE
fra
ITEMS
88
INSTITUTION
Europeana 1914-1918
PROGRESS
METADATA
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